Fauriel. Elles prennent une importance singulière, si l’on songe que la première vient les proclamer à Milan, donnant ainsi naissance aux polémiques qui précèdent le romantisme ; tandis que le disciple et l’ami qui écoute, recueilli, les paroles du second, s’appelle Manzoni. Et c’est un spectacle nouveau, au milieu des Français orgueilleux et des Italiens rancuniers, que ces Italiens et ces Français unis, dans un même sentiment de justice, pour la production du beau.
Nous arrivons ainsi à cette conclusion curieuse, et nouvelle sans doute, — puisqu’on a beaucoup étudié la formation progressive de notre domination intellectuelle sur l’Europe, et très peu sa chute, — que la période qui s’étend de 1815 à 1830, préparée par la conquête française, marque la fin de notre hégémonie intellectuelle. A peu près comme en France, la nouvelle école rejette le classicisme : en Italie, on secouera le joug de la France. Si le romantisme, en effet, dans tous les pays où il se manifeste, est une révolte contre l’état de choses présent, et une sorte de libération ; si la partie solide et durable de sa doctrine est la revendication de l’originalité nationale ; si, en Italie, cette revendication est plus opportune et plus vigoureuse que partout ailleurs, puisqu’il s’agit de l’existence même de la patrie, que l’on commence à pressentir : il est clair que ce dont il voudra se débarrasser d’abord, c’est l’excès de l’influence française. Berchet, dans la Lettera semiseria di Grisostomo, qui constitue le premier manifeste du jeune parti, distingue avec quelque ironie trois classes parmi les hommes : au premier degré de la civilisation, et presque en dehors, les Hottentots, — ceux qui ne comprennent rien, et sont incapables de rien comprendre. Au milieu, la masse du peuple, l’élément sain de la nation. Au dernier point du raffinement, au point où l’excès de la civilisation étouffe toute spontanéité, au point où le bel esprit tue le cœur, les Parisiens. Le trait est caractéristique. Et caractéristique aussi, comme indication sur les routes nouvelles que prend l’Italie, l’examen des deux ballades de Burger, qui termine la lettre de Berchet : comme le demandait Mme de Staël, c’est aux littératures du Nord qu’on s’adressera désormais, aux littératures du Nord lues et comprises dans le texte original, — à tout le moins dans des traductions italiennes, non plus françaises. Cette tendance à une séparation nécessaire est d’autant plus marquée, que classiques et romantiques, ici, se