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ne s’adresseront à elle que ceux qui le veulent. La tâche n’est ni moins grande, ni moins belle, si grandeur et beauté se mesurent non pas à la tyrannie qu’on peut exercer, mais au bien qu’on peut faire et à la justice qu’on doit respecter. Une période de l’histoire intellectuelle se ferme, une autre s’ouvre.

Le discours de Rivarol sur l’universalité de la langue française est couronné par l’Académie de Berlin en 1784, les Promessi Sposi paraissent en 1827 : la première date marque l’apogée, la seconde la fin. Le discours est un hymne entonné à notre louange ; le roman ne doit guère à la France qu’une chose : le conseil de ne pas imiter la France. Pour les Italiens, l’époque que nous étudions marque une première revendication de la liberté, dans les rapports extérieurs comme à l’intérieur du pays ; elle marque, — nous trompons-nous ? — un premier farà da se de la conscience nationale, qui s’exprime dans les productions de l’esprit, en attendant l’époque où il se manifestera par les faits.


III

Élevons-nous encore d’un degré. Après avoir vu ce que l’Italie a été en elle-même, ce qu’elle a été dans ses rapports avec les autres nations, voyons les acquisitions qu’elle a fait entrer dans le patrimoine humain. Rome, non point la Rome qui passe tous les quinze ans, mais la Rome qui dure toujours, a fourni au monde tant d’idées et tant d’exemples, qu’il est impossible de concevoir qu’elle se soit tue, au moment où l’Italie recommence à vivre. Source d’où le paganisme et le catholicisme se sont répandus sur les hommes, elle continue à couler. Après 1815, dit Carducci, les esprits se trouvèrent comme dans un désert plein de ruines, après le déchaînement d’une grande tempête qui a changé la face des lieux, seuls avec eux-mêmes devant une nature, une vie, une société qui n’étaient plus celles d’autrefois et n’étaient pas encore les nouvelles. Ceux qu’avaient épouvantés les fureurs de la Révolution, ceux qu’avait effarés l’écroulement de 1815, cherchèrent un refuge dans l’idéal d’autrefois, et à grand’peine, avec les morceaux qui restaient, tentèrent de reconstruire les anciens temples et les anciens dieux ; ceux qui sentirent de façon plus amère et plus