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trouvent unis dans le même effort. Plus on regarde le romantisme, qu’on était tenté, à l’origine, d’uniformiser en un seul courant, comme on l’avait baptisé d’un seul nom, et mieux on voit qu’il faut réduire sans cesse la part des manifestations communes à toute l’Europe, pour faire une plus large place aux caractères locaux[1]. En Italie, le romantisme ne représente pas la moitié du mouvement intellectuel, le classicisme étant l’autre, car au-dessus de tous les deux, il y a l’idée nationale qui les domine et qui les confond. Les uns comme les autres éprouvent le besoin d’un renouvellement dans la mentalité des littérateurs, d’une moralité qui transformera la production, et fournira les esprits non plus de mots, mais d’idées, de croyances et d’espoirs. Ni les uns ni les autres ne rejettent la littérature classique de l’Italie, dont ils sont également nourris. Étant d’accord sur ces points essentiels, ils sont d’accord aussi sur la question de l’influence française. Les classiques s’indigneront contre les froids poètes du Nord, contre « l’école hyperboréale, » contre Bürger et ses ballades : mais ils n’en préconiseront pas pour cela l’imitation de la France, dangereuse par son attrait, dangereuse par ses prétentions séculaires, dangereuse par la ressemblance même qu’elle peut offrir avec la littérature italienne. Ils lui seront aussi nettement hostiles que les plus farouches des romantiques ; ils mettront même à l’écarter, — comme les puristes, par exemple, dans les discussions sur la langue, — une âpreté et une étroitesse qu’on ne trouve pas chez leurs adversaires. Ainsi les deux camps, comme il arrive, se réconcilient devant l’ennemi commun. Du jour où l’idée de la nationalité littéraire, endormie sans mourir jamais, se réveille au cœur du pays ; du jour où des chefs-d’œuvre nationaux viennent l’appuyer et la confirmer, on peut dire que l’hégémonie littéraire de la France a vécu.

Pour elle, c’est un autre rôle qui commence. Elle exercera encore son influence : mais elle ne dominera plus. Elle suggérera des idées, elle donnera des conseils, elle fournira des exemples ; la lumière qu’elle répand ne cessera pas de briller hors de ses frontières, et d’éclairer souvent les autres peuples : mais elle ne prétendra plus substituer sa personnalité aux leurs,

  1. Voyez Guido Mazzoni, Le origini del romanticismo (Nuova Antologia) 1er oct. 1893) ; et sur les différens romantismes (artistique, moral, philosophique) coexistant, sans se confondre, dans chaque pays, B. Croce, Le definizioni del romanticismo (La Critica, 20 mai 1906).