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abandonnées. C’est bien un des traits essentiels qui distinguent le pessimisme de Leopardi de tous les autres, celui de Vigny, par exemple, ou celui de Schopenhauer ; c’est bien un des traits qui en font un état d’esprit si complexe et si profondément humain, que M. Luchaire définit excellemment en ces termes :

« Il apparaît qu’il y a, dans l’Italie de ce temps-là, un état d’esprit qu’on peut appeler pessimisme, qui est plus qu’une attitude sentimentale à la mode, — autre chose, bien entendu, que la doctrine philosophique qui porte le même nom, bien qu’il en soit probablement l’origine ou au moins l’aliment. Il est, dans l’analyse de l’esprit public, l’élément le plus difficile à définir, mais peut-être le plus profond : essentiellement sentimental, cependant apte à produire les plus rares floraisons intellectuelles ; — contradictoire dans son principe, car qui dit pessimisme, dit regret et désir de l’optimisme en même temps que haine de l’optimisme ; forme négative qui contient une matière morale peut-être exceptionnellement vivante et féconde. Il semble être le résultat d’une sorte de faillite du philosophisme de l’époque précédente, des illusions et des espoirs qu’il avait répandus dans la société : il est une singulière angoisse intime des cœurs, atteints dans des régions qui semblent alors nouvelles, il est un effort douloureux, chez certains désespérés, mais très sensiblement un effort vers un renouvellement profond de la vie morale et sociale. »

Hâtons-nous, sans transition, de laisser parler ceux qui croient, après ceux qui désespèrent ; car c’est déjà trahir leurs rapports réels, que de ne pouvoir les montrer parallèlement, simultanément, mêlés et confondus. Ils pensent, ils parlent, ils écrivent dans le même temps ; et les mêmes raisons qui expliquent la formation du premier courant, expliquent aussi la puissance du second. Comme le pessimisme de Leopardi se dégage du scepticisme italien : de même, c’est du moralisme italien que sort le catholicisme de Manzoni, pour s’élever à une des formes les plus belles et les plus pures du catholicisme historique.

Quoi de plus surprenant, à ne considérer que les causes particulières, et à ne point sortir de la psychologie individuelle, que le cas de Manzoni ? Par Beccaria, dont il descend, il représente la philosophie du XVIIIe siècle. Par son milieu et par sa vie, il semble devoir échapper à toute influence religieuse profonde : et rien ne montre, en effet, qu’il soit soumis à aucune. Certes