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on a raison de signaler en lui une dignité, une moralité antérieures à toute profession de foi[1] : mais ce n’est point là une croyance. Personne n’est plus digne ou plus moral que les Idéologues, par exemple : et personne n’est moins croyant. Par la société d’Auteuil qu’il fréquente, par Cabanis, par Fauriel, il serait naturel qu’il s’éloignât du catholicisme. Que si la question religieuse vient un jour le tourmenter, le protestantisme est indiqué pour lui fournir la réponse, étant donné son mariage avec Henriette Blondel : « Elle a toutes les qualités, et de plus elle est protestante. » Or voici qu’à Paris même, le jansénisme opère sur l’âme de sa femme la conversion dont M. Gazier nous complétait l’autre jour l’histoire ; et qu’après la conversion de la femme, vient celle du mari, au point que le disciple de Fauriel songe, à son tour, à convertir son maître. Mais justifions, comme tout à l’heure, ce cas qui semble exceptionnel par des causes générales, et tout s’éclairera. Ils disparaissent bientôt, les effets de la réaction cléricale, dans les États qui, après 1815, ont voulu affermir leur pouvoir politique par l’autorité de l’Eglise : ils disparaissent, sans servir aux gouvernemens, dont ce moyen d’action n’a pas retardé la chute ; et sans servir à l’Eglise, qui, par son alliance avec une politique détestée, a risqué de se voir confondue avec elle. Disparu, tout le mouvement de piétisme étroit qui accompagna la réaction ; oubliés, s’ils furent jamais lus, tous les vers fades et niais qui le traduisirent. Tout cela est tombé, comme un poids mort. Mais ce qui a survécu, ce qui s’est perpétué dans ses effets et dans son expression, c’est la nécessité d’une moralité supérieure dont nous avons déjà saisi au passage la révélation. Si les désespérés étaient nombreux, plus nombreux encore étaient ceux qui avaient foi dans la puissance des hautes vertus, et qui professaient le culte du devoir. Les libéraux mêmes, et jusqu’aux carbonari, dont les statuts excluaient les personnes de moralité insuffisante, éprouvaient le même besoin. Les écrivains le reproduisaient et l’amplifiaient : l’exaltation d’une volonté forte, la proclamation de la dignité humaine, la nécessité et la valeur du sacrifice, étaient leurs thèmes favoris. Au sortir de la morale facile du XVIIIe siècle, on s’aperçoit que la vie est sans intérêt, si elle manque de dignité, et on cherche un terrain solide où marcher droit. Étant donné ce principe,

  1. Voyez Francesco d’Ovidio, Nuovi studi manzoniani, Milano, 1908, pp. 211-223 et 227-253.