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de Prusse de vouloir bien faire interner à Cassel Mac Mahon, Canrobert, Bazaine et Le Bœuf. Le Roi répondit que les maréchaux viendraient à Cassel sur le désir de Napoléon, mais que Mac Mahon devait rester provisoirement à Wiesbaden pour y soigner la blessure reçue à Sedan. Au moment où Monts allait porter cette nouvelle à l’Empereur, il apprit, par le général Castelnau, l’arrivée subite de l’Impératrice, accompagnée de la comtesse Clary et d’une dame d’honneur. Si on en croit Mels, l’Impératrice était descendue de voiture pâle et presque en chancelant. Ses serviteurs s’étaient jetés au-devant d’elle pour lui offrir leurs hommages et baiser les franges de ses vêtemens : « Était-ce encore l’Impératrice ? se demandait Mels. Oui, certes, mais c’était plus que cela ; c’était une femme brisée par la douleur, qui embrassait en sanglotant son mari. Je n’entreprendrai pas de rien ajouter… » Le journal de Monts donne à cette scène un aspect plus discret et plus naturel. « J’achevais, rapporte-t-il, de faire à l’Empereur la communication du Roi, quand la porte du cabinet de travail s’ouvrit et l’Impératrice entra rapidement. Nous étions debout auprès de la fenêtre. Elle venait de Chislehurst, ayant voyagé sans le moindre arrêt, ce qui l’avait accablée de fatigue. Dès que je lui fus présenté par l’Empereur, elle prit part à la conversation, et cela avec une grande vivacité. À ce moment, âgée de quarante-cinq ans, accablée par les chagrins, fatiguée par un long voyage, très émue de revoir l’Empereur au lendemain de la capitulation de Metz, elle n’avait plus cette beauté qui passait jadis pour une merveille. Ses traits avaient encore de la finesse, mais non plus le même éclat. Ses cheveux conservaient leur belle couleur blonde, mais ce n’était plus la splendeur admirable d’autrefois. Par la taille, elle était à peu près égale à son mari. Sa tournure svelte, son attitude gracieuse la rendaient encore fort séduisante. Tout dans son extérieur me donnait à penser qu’elle avait toujours dû faire prédominer en politique sa volonté sur celle de son mari. Dans l’entretien que je relate, elle s’adressa fort peu à moi, mais directement à l’Empereur, et cela sur un ton très décidé. On voyait qu’elle était accoutumée à se faire écouter et même à avoir le dernier mot en ses observations. Elle affectait à l’égard de Napoléon une sorte de supériorité et, le dirai-je ? même de tutelle. Si elle s’était mise, comme on l’a cru en France, à la tête des partisans de la guerre, je puis assurer qu’à