de la jeune fille, abusant contre elle de la situation qu’elle avait naguère ingénument avouée au professeur de « calligraphie, « s’acharnaient à lui encombrer le cerveau des connaissances les plus disparates. Non seulement ils l’avaient amenée à apprendre le latin, le grec, et jusqu’aux langages « de l’Arabie et de la Chaldée : » nous avons la preuve que, en 1551, Aylmer, Ascham, et l’Allemand Bullinger se sont alliés pour forcer la malheureuse enfant à abandonner l’étude de la musique, qui aurait eu chance de lui détendre l’esprit, au sortir de ses terribles exercices d’hébreu ou de patrologie ! « Je vous prierai, — écrivait par exemple Aylmer à Bullinger, — de prescrire à lady Jane la durée du temps qu’elle peut décemment employer à l’étude de la musique ; car, sous ce rapport aussi, les gens errent sans mesure dans notre pays. » La future souveraine n’avait pas le droit de se distraire librement à chanter, ou à jouer des canzones sur son « virginal ; » elle n’avait pas le droit de danser, ni de se vêtir élégamment, de suivre en rien l’exemple de ses jeunes compagnes. Tout le groupe des théologiens allemands, suisses, et italiens, accourus en Angleterre aussitôt après la mort de leur terrible ennemi Henri VIII, les Bullinger et les Ab Ulmis, les Sturmius et les Pellikan, n’entendaient point lâcher cette jeune proie avant de l’avoir complètement saturée de toute la science divine et humaine qu’ils jugeaient indispensable à son rôle prochain de « Sémiramis calviniste. » Et personne ne pourra lire l’intéressant ouvrage de M. Davey sans avoir l’impression, qu’un pareil « surmenage » doit avoir eu pour effet d’empêcher le mûrissement naturel de l’esprit de la jeune femme, tout de même que, peut-être, c’est lui qui a empêché son corps de grandir, la condamnant à garder toujours aussi bien l’apparence extérieure que le caractère et la pensée d’un enfant.
Une pauvre enfant au cœur tout parfumé d’innocence, infiniment douce, et pure, et probablement généreuse et tendre, mais à jamais incapable de se rendre compte des réalités de la vie, c’est là ce qu’ont fait de lady Jane Grey la négligence criminelle de ses odieux parens et l’ambition ou le fanatisme irréfléchi de ses professeurs. Sa figure authentique, il est vrai, ne se manifeste à nous que très vaguement, sous l’énorme appareil des légendes amoncelées autour d’elle, depuis le lendemain de sa mort, par l’inventive piété de ses hagiographes : mais chaque fois que cette gentille figure nous apparaît avec un peu plus de lumière, au cours du récit de M. Davey, toujours nous y découvrons ce même regard, ignorant et craintif, d’enfant maltraitée