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qui déjà se fixait douloureusement sur Roger Ascham pendant que la petite lectrice de Platon se décidait à étaler devant son visiteur les motifs secrets de son goût pour l’étude. Et l’émouvant discours tenu alors par Jane Grey, dans son « cabinet » de Bradgate, trouve vraiment sa contre-partie dans une autre parole, non moins historique, de la jeune femme, qui, à elle seule, aurait de quoi nous éclairer jusque sur l’être le plus profond de l’infortunée « reine de neuf jours. »

On sait de quelle façon, en juillet 1553, le petit roi Edouard VI étant mort, son ministre et favori, le duc de Northumberland, a résolu d’écarter du trône la fille aînée et héritière légitime d’Henri VIII, Marie Tudor, pour lui substituer lady Jane Grey, petite-nièce du vieux roi, à qui le même Northumberland venait de faire épouser l’un de ses propres fils. Jane Grey, qui déjà avait été contrainte par force à ce mariage, s’était ensuite laissé docilement amener à Londres, y avait accepté le rôle d’usurpatrice que lui imposaient son beau-père et ses parens, avait signé des ordres pour l’arrestation de Marie Tudor, et puis, après neuf jours de règne, avait vu tous ses partisans s’éloigner d’elle, et avait appris la soumission unanime du royaume à la fille d’Henri VIII. Or, lorsque cette aventure s’est décidément achevée, le soir de ce 19 juillet où Marie Tudor, parmi les acclamations de la foule, a fait son entrée solennelle dans sa capitale, Jane Grey, restée seule à la Tour de Londres avec son père, a naïvement demandé à celui-ci, tout à fait comme un enfant qui a fini de réciter sa leçon : « Est-ce que, maintenant, je puis m’en retourner chez moi ? »

Voilà comment la rivale de Marie Tudor se représentait sa situation, en cette heure tragique de l’écroulement de son faible trône usurpé ! Aussi longtemps qu’on lui avait commandé d’être reine, elle l’avait été avec son obéissance accoutumée, exactement comme jadis, à Bradgate, elle s’attachait à exécuter en perfection les ordres qu’elle recevait de ses « exigeans et sévères parens : « et puis, ses maîtres n’ayant plus désormais rien d’autre à lui ordonner, elle sollicitait la permission de « s’en retourner chez elle, » de la même façon que nous l’avons vue s’enfuir joyeusement auprès de son précepteur, aussitôt qu’elle pouvait s’arracher à ces obligations mondaines qui lui donnaient l’illusion « d’être en enfer. » Et sans doute la pauvre enfant, cette fois encore, avait eu la sensation d’être 'en enfer, « pendant que son père et Northumberland l’obligeaient à occuper la place de Marie Tudor ; elle-même, plus tard, dans sa lettre à la Reine et dans son discours