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moins la retenir prisonnière, parce qu’il y aurait beaucoup d’inconvéniens à lui rendre la liberté. La Reine répondit que, à l’égard de Jeanne de Suffolk, on ne la mettrait pas en liberté sans avoir pris toutes les précautions nécessaires pour qu’il n’en put résulter aucun inconvénient. Simon Renard ayant rendu compte à l’Empereur de cette conversation, ce prince insista de nouveau, dans sa réponse, pour engager la Reine à punir sans miséricorde tous ceux qui avaient entrepris de lui enlever la couronne. » Mais ni cette « insistance » du père de son fiancé, ni toutes les autres démarches multipliées infatigablement auprès d’elle n’ont pu réussir à ébranler sa résolution « d’épargner lady Jane. » La jeune femme restait enfermée à la Tour, où tout le monde avait l’ordre de la traiter aussi honorablement et doucement que possible, en attendant que le retour du calme rendit plus facile à Marie Tudor de la relâcher. C’est à cet état de choses que Jane Grey elle-même fait allusion, dans sa lettre à son père, quand elle reproche à celui-ci d’avoir « hâté sa mort. » Car il n’a pas fallu moins que la rébellion ouverte du duc de Suffolk. presque au lendemain du jour où la Reine l’avait remis en liberté, pour vaincre enfin les dernières hésitations de Marie Tudor, sous la poussée unanime du sentiment public. Jusqu’au bout, celle que l’histoire accuse d’avoir été le bourreau de Jane Grey s’est montrée pleine de tendre indulgence pour sa petite rivale ; et celle-ci l’a compris, et est morte en rendant hommage à la souveraine qui, parmi l’abandon de tous ses amis, était seule désormais à plaindre son sort, après s’être longtemps efforcée de la laisser vivre.

« Bon peuple, s’est-elle écriée du haut de l’échafaud, je suis venue ici pour mourir, et c’est une juste loi qui me condamne à cela ! Il est vrai que mon unique offense contre Sa Majesté a été de consentir aux projets d’autres personnes, projets dont je vois bien maintenant qu’ils constituaient une trahison : je n’ai agi que sur le conseil de ceux qui auraient semblé avoir bien plus d’intelligence de ces choses que moi, qui ne savais rien de la loi, ni des titres à la couronne. Certes, le soulèvement contre Sa Majesté Royale était criminel, et de même a été mon consentement à cet acte ; mais, pour ce qui concerne ma collaboration personnelle à cet acte, ouïe désir que j’en aurais eu à mon profit, de cela je m’en lave les mains, en toute innocence, devant Dieu et en face de vous, bon peuple chrétien ! »


Oui, en vérité, la naïve enfant qui parlait ainsi avant de mourir pouvait à bon droit se proclamer innocente d’une « trahison » dont