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oasis de Jéricho, qu’elle ne parlait plus de s’en aller. Elle s’abandonna sans nulle retenue, — nous dit Josèphe, — « aux plaisirs du pays » — et faillit, par surcroît, avoir une intrigue amoureuse avec Hérode.

Le pays de la Mer Morte, un lieu de plaisir ! Quel étrange démenti à tous nos préjugés ! Et, cependant, il faut bien croire qu’il en fut ainsi ! Il faut au moins que les Hérodes aient senti vivement le charme de cette contrée du Jourdain et de l’Asphaltite, pour y avoir multiplié les villas et les résidences d’hiver. A Machærous et à Masada, sur la rive droite et sur la rive gauche de la Mer Morte, ils s’étaient fait bâtir de véritables palais aussi somptueusement aménagés que la regia de Jéricho. Rien n’y manquait : appartemens spacieux et magnifiques, exèdres soutenus par des colonnes monolithes, salles de bains pavées de mosaïques, — et, partout, des citernes si abondantes qu’on avait de l’eau à profusion toute l’année...

Hiverner sur ces hauteurs, dans ces villas aériennes, où le maître traînait avec lui tout un harem et toute une suite de serviteurs et d’équipages ; se savoir, là-haut, dans cette solitude inaccessible, le despote tout-puissant, dominer le paysage splendide du lac et des montagnes, jouir de cet azur inaltérable, de ce perpétuel été, — quelle ivresse ce devait être !... Aujourd’hui, le décor royal a disparu, mais les hivers de Jéricho ont toujours la même douceur. Quoique très vive vers le milieu du jour, la chaleur y est plus supportable que sur le littoral, — à Jaffa, à Beyrouth, à Kaïffa, — où l’on se dissout dans une atmosphère humide et tiède. Et la contrée est toujours salutaire, sillonnée de sources sulfureuses qui guérissent les maladies. Les Bédouins et les Juifs continuent à se baigner dans les eaux de Callirrhoé, comme au temps du vieil Hérode.

La vallée du Jourdain n’est donc pas tellement inhabitable et disgraciée qu’on le répète. A de certains momens de l’année, il y fait bon vivre pour les Occidentaux eux-mêmes, et c’est un émerveillement que d’y assister aux phases du jour. S’il faut avouer toute ma pensée, je serais désolé qu’on la bouleversât sous prétexte de civilisation. Mais, j’en ai peur, le mercantilisme moderne ne tardera pas à s’aviser de tout ce qu’il y a d’exploitable ici, depuis les paysages et les souvenirs jusqu’aux richesses du sol. Déjà, l’actuelle Jéricho est envahie par les agences et les hôtels. Avant peu, n’en doutons point, on verra des bateaux