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à vapeur sur la Mer Morte. Des tramways électriques conduiront les touristes jusqu’aux rochers de Machærous et d’Engaddi, où s’élèveront des Palaces et des Excelsiors plus vastes et plus fastueux que les palais des Hérodes. Des Barèges et des Aix-les-Bains surgiront au pays de Ruth la Moabite !... Et ce sera, pour ce pays si beau, une catastrophe pire que le feu du ciel tombant sur Sodome et Gomorrhe !...

Telle qu’elle est à présent, la vallée du Jourdain, avec l’Asphaltite et son corridor de montagnes, apparaît à l’œil non prévenu comme un des lieux les plus singuliers et les plus grandioses que l’on puisse contempler. Je n’en connais point, pour ma part, qui ait une physionomie aussi spéciale, aussi fortement caractérisée dans son ensemble. Un chef-d’œuvre célèbre, un visage glorieux ne saisissent pas d’un étonnement plus imprévu, ni ne se gravent plus profondément dans la mémoire.

Où l’on en reçoit l’empreinte la plus vive et la plus complète, c’est peut-être, sur la route de Jérusalem, avant de descendre la dernière côte, du haut des escarpemens qui dominent Jéricho.

On vient de traverser une région stérile et sans couleur, un désert de montagnes grises, où les herbes et les fleurettes desséchées ne se raniment qu’au printemps, où l’on s’enfonce brusquement dans les ravins pour gravir ensuite des séries de mamelons pierreux qui, de tous côtés, interceptent la vue ; on a longé les gorges du Wadi-el-Kelt, avec ses couvens grecs accrochés au-dessus du torrent, comme des nids d’abeilles, d’un blanc de cire, dans le bleu ardoisé des roches perpendiculaires... et, tout à coup, la chaîne de Moab se dresse au-dessus d’une immense plaine. Devant le libre espace soudainement étalé, on éprouve comme la joie d’une délivrance, au sortir de ce désert opprimant et sans grandeur.

Les Monts de Moab !... On les reconnaît tout de suite ! On les a si souvent contemplés de Jérusalem ! Mais leur forme s’est modifiée. Ce n’est plus la barre violette qui tranchait sombrement sur les fonds aériens, le mur opaque, presque uniformément rectiligne. Maintenant, ce sont des étages de dômes et de coupoles, qui se déploient en une vaste ondulation immobile et tumultueuse, à la façon d’une ligne de vagues pétrifiées, — et si nombreuses, si semblables les unes aux autres qu’il faut un