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leur venir ; sinon, elle leur viendra d’ailleurs, et nous ne savons pas s’ils y gagneront, mais sûrement le gouvernement y perdra. Aussi est-ce à ses premières manifestations que nous l’attendons.

M. Briand a un grand avantage, qui pourrait devenir un danger s’il n’en use pas tout de suite : on attend quelque chose de lui. Quoi ? On n’en sait trop rien, mais on en attend quelque chose. Il a frappé l’opinion ; on a jugé qu’il ne ressemblait pas tout à fait à ses devanciers ; il a prononcé des paroles qui ont fait dresser et retourner vers lui les têtes, parce qu’elles avaient un accent nouveau. Une de ces paroles qui ont produit le plus d’impression est l’assurance qu’il a donnée d’être « un homme de réalisation, » mais c’est aussi celle qui a été jusqu’à présent suivie du moindre effet. On s’est demandé ce qu’on allait voir se réaliser, et on n’a pas vu grand’chose. Toutefois, on n’en a pas fait grief à M. Briand, parce qu’on a pensé que, voulant survivre aux élections, il devait commencer par vivre avec la Chambre expirante, ce qui pouvait, à la rigueur, permettre les grandes pensées, mais non pas les grandes réalisations ; on ne brusque pas les moribonds. « J’ai vécu, » peut dire M. Briand, comme Sieyès : il s’agit maintenant de savoir s’il a vécu pour vivre ou pour faire quelque chose. Les preuves de son habileté et de sa souplesse sont faites abondamment, surabondamment ; mais est-il un homme de gouvernement ? A-t-il le sens exact des circonstances ? Sait-il profiter des occasions ? A-t-il enfin un but bien défini, et peut-il le découvrir ? C’est à cette épreuve qu’on l’attend. On le croit capable d’en bien sortir. On aurait une pénible déception s’il y sombrait.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.