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Elle sait où elle va, et elle sait pourquoi elle va ; elle n’ignore pas ce qui lui manque et la disproportion de sa personne à la tâche imposée. Mais qu’est-ce que cela, puisque Dieu le veut ? Est-ce que Dieu ne peut pas tout ce qu’il veut ?

Donc, le récit de cette vie entre, d’abord, dans le miracle, le double miracle, miracle de la mission, miracle de l’accomplissement. Elle déclarait que sa preuve serait le fait lui-même. Aux clercs de Poitiers qui lui demandaient « un signe, » elle disait : « En nom Dieu, je ne suis pas venue à Poitiers pour faire des signes ; mais conduisez-moi à Orléans, et je vous montrerai signe pourquoi je suis venue. » (Procès, III, 205.)

Le moins est d’accepter d’elle, sur elle-même, son témoignage. Elle ne ment jamais ; elle ne s’exagère rien ; en toute circonstance, elle ramène à la modération et au bon sens ceux que l’enthousiasme exaltait autour d’elle. Ce qu’elle dit, elle le pense ; quand elle ne sait pas ou qu’elle ne veut pas dire, elle se tait : il faut la croire.

Et, d’ailleurs, dans quelles circonstances n’a-t-elle pas dicté son autobiographie ? Devant ces juges qui, après avoir tout fouillé, tout scruté, l’avoir examinée jusqu’à l’outrage, ont écrit, d’une plume passionnée, ce qu’ils pouvaient arracher à sa candeur sans défense ! Comment être incrédule à un tel récit, garanti d’un si poignant contrôle et authentiqué d’un tel sceau ?

Donc, sur le point principal, elle ne varia jamais : « elle est envoyée de par Dieu. » Elle l’affirme, dès la première entrevue avec Robert de Baudricourt, elle le dit à Charles VII, elle l’écrit dans sa lettre aux Anglais, et dans sa lettre au Duc de Bourgogne ; elle le répète constamment devant ses juges. (Procès, 1, 101, 240, 394, etc.) « Roy d’Angleterre et vous, duc de Bedford…, rendez à la Pucelle qui est cy envoiée de par Dieu, le Roy du Ciel, les clefs de toutes les bonnes villes, etc. » « Interrogée si ceux de son parti croient fermement qu’elle soit envoyée de par Dieu, répond : « Ne sais s’ils le croient et m’en attends à leur courage, mais, si ne le croient, si suis-je envoyée de par Dieu. » Et, enfin, dans la dernière phase, quand elle sait le péril d’une telle affirmation, joignant, en une seule parole, la résolution qui la perd au réconfort qui la soutient : « Du surplus qui lui fut exposé d’avoir pris habit d’homme sans nécessité et en espécial qu’elle est en prison, répond : « Quand j’aurai fait ce pourquoi je suis envoyée de par Dieu, je prendrai habit de femme. »