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je suis bien heureuse. Je voudrais bien rester toujours ainsi. » « Ce qui étoit admirable, ajoute Dunois, dans sa déposition au procès de réhabilitation, c’est que, quand elle répétoit ces paroles de ses voix, elle étoit encore en grande liesse, levant les yeux vers le ciel. » (III, 12.)

Sur le sujet de son « Conseil, » voici tout ce que savait la personne qui a vécu, auprès d’elle, dans la plus constante intimité, son écuyer, Jean d’Aulon : « Il dit que, quand la Pucelle avoit aucune chose à faire pour le fait de la guerre, elle disoit que son Conseil lui avait dit ce qu’elle devoit faire. Je l’interrogeois pour savoir qui étoit son dit Conseil, laquelle me répondit qu’ils étoient trois ses conseillers, desquels l’un étoit toujours résidamment avec elle, l’autre alloit et venoit souventes fois vers elle et la visitoit ; et le tiers étoit celui avec lequel les deux autres délibéroient. Et advint que, une fois entre les autres, je demandai à la Pucelle qu’elle me voulût, une fois, montrer celui Conseil, laquelle me répondit que je n’étois pas assez digne ni vertueux pour icelui voir. » (III, 219.)

C’est pour répondre à l’insistance des juges, qu’elle dévoila plus tard, à Rouen, toute la belle histoire précise et sensible, l’archange saint Michel « vêtu comme un vrai preudhomme, » sainte Catherine, la sainte des Vierges, dépositaire de son vœu de chasteté et sainte Marguerite dont l’image était sur l’autel de l’église de Domremy ; ces deux saintes, toutes deux chères et comme familières, qui viennent vers elle couronnées de fleurs, sentant bon et qui la baisent, la consolent, échangent avec elle des révérences, « des voix qui lui parlent dans une lumière » (I, 52), souvent dans les jardins, dans les bois, quand sonnent les cloches et tinte l’Ave Maria (I, 62), qui la réveillent, parfois, en sursaut et qu’elle entend, soudain, là tout près, qui n’ont, pour elle, qu’un seul conseil, toujours le même : « de l’audace, de l’audace, » audacter ! ces voix qui la dirigent dans l’action, l’assistent dans le péril, la réconfortent dans la peine, lui tiennent compagnie en prison, qui la conseillent encore quand elle lutte pied à pied contre ses juges et l’exhortent jusqu’aux marches du bûcher.

Elle ne les désavouera jamais, quoi qu’on en ait dit[1] ; elles resteront son suprême recours, sa foi obstinée et pour laquelle

  1. Voyez la discussion dans la remarquable étude de l’abbé U. Chevallier, l’Abjuration de Jeanne d’Arc. A. Picard, 1902.