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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/565

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des hommes, l’y maintinrent toute sa vie. S’il ne fut pas toujours bien inspiré dans le choix de ses relations personnelles et demeura trop fidèle à des amitiés qui n’étaient pas toujours dignes de lui, il ne se trompa jamais lorsqu’il s’agit de découvrir un informateur, un confident, un instrument politique.

Entre le trimestre d’Oxford et l’année de Cambridge, le prince accomplit le premier de ces voyages qui devaient achever son éducation d’héritier présomptif, et dont les circonstances firent, pour lui, un devoir professionnel et une forme de travail. Il se montra aux Canadiens chez qui son passage échauffa un loyalisme encore tiède. De là, traversant un petit village de pêcheurs qui répondait au nom, alors obscur, de Chicago, il pénétra sur le territoire des Etats-Unis et alla loger à la Maison-Blanche, sur l’invitation pressante du président Buchanan. Ainsi se consommait un nouveau pacte amical entre les deux moitiés disjointes de la race anglo-saxonne. Quand le prince de Galles visitait la tombe de Washington ou les mémorables champs de bataille de l’indépendance, si on lui avait demandé ce qui lui avait paru le plus intéressant et le plus curieux, il eût pu répondre, comme le doge de Venise, amené dans le Versailles du Grand Roi : « C’est de m’y voir ! » Mais le prince n’était pas de ceux qui s’étonnent. Il possédait déjà une bonne dose de scepticisme qu’assurément il ne tenait ni de l’un ni de l’autre de ses parens et qu’il allait fortifier dans un contact assidu avec notre société du monde impérial. En bon Anglais, il unissait, sans aucun effort, l’esprit traditionnel avec la faculté de s’adapter aux besoins nouveaux ; observateur scrupuleux des vieilles formes auxquelles il attribuait probablement, comme nous, un sens et une vertu symboliques, il n’était pas, il ne fut jamais l’homme des attendrissemens rétrospectifs et des pleurnicheries historiques. L’impression qu’il rapporta de son voyage d’Amérique aurait pu se résumer ainsi : « L’heure du retour possible de la colonie à la Métropole est passée ; l’heure de l’intimité entre les deux grandes nations de la même race est venue. »

A dix-huit ans, le prince reçut une belle lettre de la Reine, sa mère, qui lui annonçait son émancipation. Bachelier es arts de Cambridge, avocat, colonel d’un régiment, il était, désormais, le maître absolu de ses actions. Cette indépendance illimitée eût, peut-être, présenté certains périls pour une nature