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exubérante dont l’ardente vitalité se jetait dans tous les sports[1] et aspirait à tous les plaisirs. On y obvia en formant sa maison avec un soin tout particulier et en désignant, pour l’accompagner dans ses voyages, des hommes dont la présence seule était une garantie, sinon une contrainte.

L’année 1861 fut une des plus importantes, une des plus décisives de cette vie si pleine. Dans une vieille cathédrale allemande, le hasard (un hasard très avisé et, j’imagine, fort bien dirigé) lui fit rencontrer une belle jeune fille, venue, comme lui, en touriste et que ce décor gothique encadrait admirablement. C’était l’aînée des filles de Christian VII, roi de Danemark. Le prince en devint amoureux, c’est une lettre de son père qui l’affirme. Et qui s’en étonnerait ? Un demi-siècle a passé depuis cette entrevue et, par un privilège inouï, les derniers regards d’Edouard VII, en s’arrêtant sur ce visage anxieux qui se penchait vers lui, pouvaient y reconnaître les traits, à peine altérés, de la royale voyageuse, rencontrée à Worms et qui avait servi fidèlement son œuvre de prince et de roi en l’aidant de son charme, de sa grâce, de sa bonté et de tous ces dons multiples auxquels elle a dû d’être, à la fois, l’idole des pauvres et le type des mondaines élégances à travers le monde entier.

L’année 1861 vit les fiançailles des deux jeunes gens, mais non leur mariage, célébré seulement en 1862. Mais, avant de finir, elle tenait en réserve, pour le prince de Galles, une émotion d’un tout autre genre. En décembre, il perdit son père et fut si profondément affecté de cette mort qu’on jugea la distraction d’un grand voyage nécessaire pour secouer la tristesse et la torpeur où il restait plongé. Cette fois, ce ne fut pas vers les pays neufs, mais vers la terre des souvenirs, vers les débris d’une des plus anciennes civilisations que l’on orienta sa curiosité. Il visita l’Egypte et, de là, passa en Palestine, où il eut pour compagnon et pour guide le doyen Stanley. Stanley, un des esprits les plus larges et les plus tolérans qu’ait produits l’Anglicanisme, était l’ami personnel de la famille royale et lui servait de lien avec le monde intellectuel. C’est chez lui, à

  1. J’ai raconté dans un journal, au lendemain de sa mort, un incident dont j’ai été témoin, à Compiègne, dans l’automne de 1868. Il suivait une chasse au cerf et serrait la bête de si près qu’elle se retourna et fonça sur lui. Le prince fut renversé avec son cheval. Nous accourûmes. Le prince était déjà debout. Il n’avait pas changé de couleur et s’égayait de nos figures consternées.