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de contre-balancer la puissance allemande, devenue une menace pour la suprématie maritime et commerciale de l’Angleterre. Ce serait prendre les grandes choses par le petit côté que de voir une sorte de taquinerie rétrospective dans l’empressement avec lequel, au début du règne d’Edouard VII, les sympathies françaises remplacèrent les sympathies allemandes. Cette réaction était préparée depuis longtemps par des actes et des paroles que tout le monde se rappelle. Les prétentions que l’Allemagne affichait à la domination des mers, la nécessité où elle était de se créer un empire colonial aux dépens des autres puissances (puisque ce petit monde, déjà plein, n’offrait à son activité qu’un champ peu enviable), le progrès de son industrie et de son commerce qui faisaient concurrence aux Anglais sur leurs propres marchés, tout faisait comprendre aux esprits clairvoyans qu’au XXe siècle, la rivalité s’établirait entre l’Empire allemand et l’Empire britannique. L’heure était venue de sortir de cet isolement dont la prétendue « splendeur » menaçait d’aboutir à une éclipse ; l’heure de chercher des alliances ou des amitiés et de réparer la faute commise en 1870, lorsque l’Angleterre de Gladstone avait laissé écraser son alliée de la veille sans dire un mot, sans faire un geste pour la secourir. Cette faute-là, je puis l’affirmer, Edouard VII n’avait jamais cessé de la regretter.

Au service de cette politique qui s’imposait à lui, mais qui, évidemment, flattait, par certains côtés, ses sympathies et ses antipathies, le Roi allait placer cette incomparable expérience de quarante années, durant lesquelles il s’était familiarisé avec tous les détails de l’échiquier européen, avait appris à connaître les mœurs de toutes les cours, les caractères des gouvernans, les dispositions de tous les peuples et le point sensible de chacun. On ne lui avait rien laissé faire, mais il avait tout vu et de très près. Il savait comme personne les secrets des chancelleries aussi bien que les courans magnétiques qui emportent les foules. Il connaissait les ressources, les ambitions, les faiblesses de toutes les nations, y compris la- sienne, l’étendue et la limite extrême de leur capacité pour la production pacifique comme pour l’action militaire. Son stock d’informations, sa sphère d’activité et d’influence étaient donc beaucoup plus vastes que ceux de Victoria et il disposait de moyens tout différens. Sa bonne humeur, son entrain, sa franchise créaient autour de lui une atmosphère de bon vouloir, et donnaient une impression de sincérité qui