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se formule plus selon nos signes. Les aspects accoutumés de la matière se sont comme abolis pour mes yeux. Les figures élémentaires qui m’environnent m’apparaissent comme les prototypes d’une géométrie inconnue, — la géométrie stupéfiante d’une autre planète… Un coude brusque, et le front blanc d’une roche, pareille à un crâne gigantesque, se dresse au fond du couloir. Véritable bouche d’ombre, un large trou s’arrondit à la base. Cette ébauche de tête colossale, au fond de ce corridor sans issue, cette pâleur d’ossemens, ces lignes rigides du paysage, c’est une vision de cauchemar.

Nos chevaux s’arrêtent, et leur immobilité soudaine me réveille comme en sursaut. Nous sommes arrivés ! La bouche d’ombre qui s’enfonce, là-bas sous le front luisant de la roche, c’est le puits que nous avons si longtemps cherché.


Mais les préparatifs prosaïques du campement ne réussissent point à dissiper l’espèce d’incantation que produit sur moi ce lieu extraordinaire. Tandis que les moukres et les porteurs sont en train de planter dans le sable les piquets de la tente, je descends vers le puits avec Abdallah.

On dirait le porche d’un hypogée pharaonique, dans la Vallée des Rois. Des degrés naturels sont taillés dans le sol. A la lueur d’une bougie, nous nous avançons avec précaution parmi les gravats. La lueur de la bougie révèle les parois d’une caverne très haute, dont la voûte et le fond sont aveuglés de ténèbres opaques. Des vols mous nous effleurent : la caverne est pleine de chauves-souris, dont l’odeur âcre vous saisit à la gorge. Encore quelques pas, et une sorte de margelle nous barre le chemin. L’eau précieuse doit être là !… Nous nous penchons, sans distinguer autre chose que les coulées verticales de la roche. Une pierre jetée par Abdallah fait un clapotement assez proche. N’importe ! il faudra des cordes pour puiser de l’eau ! Et comme je prononce ces mots à haute voix, un écho qui semble venir de très loin me renvoie mes paroles avec un timbre si dénaturé, si étranger pour moi et qui s’amplifie en sonorités si terrifiantes, dans la nuit des voûtes, que je remonte précipitamment les degrés, pour respirer l’air du dehors et pour revoir les étoiles.

Je regarde autour de moi. Le mica des sables brille d’un