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où l’écume onctueuse des courtes vagues dessine, d’une extrémité à l’autre, une immense arabesque blanche, — la tige d’un lys arborescent brodée sur la soie bleue d’un vélum.


Mais il faut songer à descendre vers En-Gaddi.

Je me penche tout au bord de la falaise et je regarde : En-Gaddi est là, sous nos pieds. Ce qui fut l’ermitage des Esséniens est un lieu vague, une étroite terrasse en demi-lune, qui semble baigner dans les Ilots vitreux de la Mer Morte. Ces solitaires avaient bien choisi leur retraite. Là, vraiment, ils étaient séparés du monde. Devant eux, la mer infranchissable, où jamais une voile n’apparaît. Derrière eux, cette roche perpendiculaire, qui dépassait en hauteur les murs des plus hautes forteresses !

Pour arriver jusqu’en bas, nul autre moyen d’accès que les entailles qui zigzaguent aux flancs de la roche. C’est aussi roide et aussi dangereux que les escaliers extérieurs par où l’on monte à la flèche d’une cathédrale. Déjà nos convoyeurs déchargent les bêtes de somme : autrement, les oscillations du bat, pendant la descente, les entraîneraient dans le précipice. Tous nos bagages vont être transportés à des d’homme.

Auparavant, il s’agit de faire passer les mulets et les chevaux, opération beaucoup plus compliquée que je ne pensais ! Les premiers s’en tirent assez bien. Mais, dans les endroits difficiles, les chevaux renâclent, leurs sabots glissent sur la pierre polie des degrés. Alors, le moukre étend sous leurs pieds des couvertures de laine, où ils trouvent une assiette plus solide. Ils avancent ainsi de quelques mètres, et, dix pas plus loin, c’est à recommencer : le moukre étend de nouveau sa couverture. Nous-mêmes, nous avons autant de peine que ces pauvres bêtes à garder notre équilibre. Pour ne pas tomber, il faut s’accrocher aux saillies de la falaise, se traîner sur ses genoux, ou, dans les pentes rapides, se laisser couler sur son dos. Jamais je n’avais été soumis à une pareille gymnastique. Je me souviens encore, avec une sueur d’angoisse, d’une ascension du Taygète, qui fut pour moi une torture de quatorze heures. Ce n’était rien en comparaison. A tout instant, je fermais les yeux, dans la crainte de céder au vertige, et, quand je les rouvrais, j’apercevais sous moi, dans des profondeurs d’abîme, les eaux bleues de