Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inerte des choses. La simple douceur d’exister n’est plus qu’un sentiment vague qui s’élève à peine jusqu’à la conscience. Une béatitude complète vous emplit. L’air est si pur sur ces hauteurs ; la lumière si limpide, qu’il suffit de respirer et d’ouvrir les yeux pour être parfaitement heureux. On comprend que des solitaires aient élu cette retraite, pour y goûter en paix la volupté de la vie contemplative.

En aucun autre endroit de la Judée, les Esséniens ne pouvaient mieux réaliser leur idéal ascétique.


Plusieurs générations d’entre eux vécurent ici : cela est certain. Aujourd’hui que l’oasis est détruite, la vie humaine nous paraît tellement impossible, dans ce désert, que cela a l’air d’un mirage historique. Pourtant, les textes anciens sont formels : il y eut des communautés esséniennes à En-Gaddi.

Comme on y a voulu voir une première ébauche des communautés chrétiennes aux siècles évangéliques, notre curiosité s’attache à ces ancêtres du monachisme occidental. On aimerait à retrouver leurs traces authentiques. C’est difficile ! On ne sait trop où situer leurs couvens.

Si réellement la butte où nous sommes fut autrefois une place forte, ce que Josèphe appelle une des « toparchies » de la Palestine, un centre stratégique important et muni d’une garnison permanente, comment admettre que les Esséniens se soient mêlés à la population urbaine, eux si jaloux d’éviter tout contact impur ? Les miliciens à la solde des Hérodes étaient, en général, des étrangers, c’est-à-dire, pour eux, des impurs. Les Juifs eux-mêmes, du moment qu’ils n’appartenaient pas à la secte, étaient également souillés à leurs yeux. Alors, il faut bien supposer qu’ils vivaient aux alentours d’En-Gaddi, et non dans l’enceinte de la ville. On a cherché, dans les parois de la falaise voisine, des grottes naturelles ou des sépultures creusées de main d’homme, où ils auraient pu s’abriter, comme firent, en Egypte, les Pères du Désert : on n’a rien rencontré de semblable[1]. L’hypothèse la plus plausible, c’est qu’ils habitaient à proximité de l’oasis. Les Esséniens, nous le savons, s’adonnaient à la

  1. Le P. Lagrange, actuel prieur du couvent de Saint-Étienne, à Jérusalem, et membre correspondant de l’Institut de France, a tenté ces recherches et a écrit, à leur sujet, un très intéressant article dans la Revue biblique de 1894.