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culture et au jardinage. S’il en est ainsi, la palmeraie d’En-Gaddi leur offrait une retraite éminemment propice, pour y exercer leur métier d’agriculteurs et de jardiniers.

Lorsque j’errais dans cette plaine, aujourd’hui veuve de ses palmiers, malgré moi, des vers restés dans ma mémoire, des vers de Leconte de Lisle, autrefois admirés, m’obsédaient. C’est une apostrophe à Jésus :


Figure aux cheveux roux, d’ombre et de paix voilée,
Errante aux bords des lacs sous son nimbe de feu,
Salut ! L’humanité, dans ta tombe scellée,
O jeune Essénien, cherche son dernier dieu !


Le Christ aurait donc commencé par être l’un d’eux ! Il aurait appartenu à une de leurs communautés galiléennes ! Peut-être même serait-il venu jusqu’ici !… Je l’avoue, j’étais troublé par ces vieilles imaginations de la critique, que l’auteur des Poèmes barbares s’est borné à reproduire. Je n’avais aucune raison de m’intéresser aux Esséniens, sinon en tant que précurseurs du christianisme.

Ce seraient, en tout cas, des précurseurs bien lointains. Si l’on s’en tient aux textes, on estime que les analogies entre les deux doctrines sont fort superficielles et que leur ascétisme ne ressemble pas plus au nôtre que n’importe lequel des ascétismes orientaux. Le célibat, la vie en commun ne les caractérisent point particulièrement, non plus que le noviciat qu’ils imposaient à leurs néophytes. À part ces règles et ces observances qui furent celles de toutes les sectes philosophiques et religieuses de l’antiquité, ces braves gens nous apparaissent comme des pharisiens un peu plus austères. Ce sont de purs Juifs, qui ne se distinguaient des autres que par les exagérations de leur piétisme : fréquence des prières, repos absolu le jour du sabbat, manie des purifications poussées jusqu’aux plus bizarres raffinemens. S’ils étaient réputés comme devins (un Essénien prédit l’empire à un roi juif), on ne voit pas qu’ils aient continué la grande tradition du prophétisme. Rien, chez eux, qui s’apparente à l’idéal de charité évangélique, rien qui annonce la sensibilité chrétienne. Peut-être que, pour les bien juger, il siérait de connaître leur enseignement et leur morale ésotériques. Tels qu’ils nous sont présentés, ils nous rebutent par leur médiocrité de pensée, leur sécheresse et leur étroitesse de cœur.