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qui n’a pas si mal besogné à faire une langue bien française. Qui se plaint aujourd’hui si les Anglais du XVIIIe siècle ont fait de la peinture flamande ? Et puisque aujourd’hui l’on veut que la peinture flamande elle-même soit primitivement dérivée de la française, voilà que M. Jacques Blanche se retrouverait par ce détour dans la ligne de la tradition nationale… Mais ces subtilités n’ont aucun sens. Intéressantes pour tracer l’évolution d’un art, elles sont de nul secours pour en juger. Et les deux portraits que voici, de quelque école qu’ils soient, sont deux portraits de maître.

On dira la même chose, quoique pour de tout autres raisons, devant le portrait de M. Jean Richepin par M. Marcel Baschet (Champs-Elysées, salle 3, n° 120). Il n’est pas arrivé souvent, même chez nos meilleurs artistes, que les mains d’un modèle aient été traitées d’un coup de pinceau aussi libre, aussi expérimenté, aussi sûr, sans préparation visible, sans retouche, — en pleine pâte. Le visage et le reste du personnage, la robe de chambre orange, les accessoires, quoique sans doute de facture moins habile, sont d’une égale harmonie et la critique ne saurait trop où mordre. L’attitude enfin, d’une simplicité parfaite et reposée, dit de l’homme tout ce qu’elle peut dire. Aux yeux des érudits de l’avenir, M. Richepin apparaîtra comme un François de Gonzague ou comme un roi Cophetua qui a dépouillé sa carapace de fer, laissé sur son trône la Vierge de la Victoire ou la Mendiante symbolique et qui songe bourgeoisement aux faits d’armes d’antan et aux anciennes amours. On cherchera vainement parmi les accessoires discrets quelque reste d’armure, quelque blason révélateur, et, comme on ne trouvera rien qui désigne matériellement un chevalier, il n’est pas impossible qu’on propose comme titre : Un poète.

C’est sûrement le titre Un philosophe et plus spécialement Un philosophe en observation qu’on proposera pour mettre sous le portrait d’homme exposé par M. Gabriel Ferrier (Champs-Elysées, salle 18, n° 758). A voir cette tête solide, puissante, réfléchie, on se rappellera certains portraits d’hommes d’un passé plus lointain encore, — tel celui de Coppenol, l’ami de Rembrandt. On imaginera ce que serait de face ce Filippo Maria Visconti dont Pisanello, dans une médaille célèbre, nous a retracé le profil. L’attitude calme et reposée fera un peu songer aussi à M. Berlin. Installé dans une courbe chaise florentine ainsi