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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/666

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qu’en un fauteuil d’orchestre, bien rencogné pour voir commodément se dérouler la comédie humaine, les yeux guetteurs, le coin de la lèvre imperceptiblement remonté par un imperceptible sourire, les mains jointes avec tranquillité, le personnage figuré ici donne l’impression d’un spectateur qui suit avec une bonhomie sceptique toutes ces « amusoires de quoy on paist un peuple malmené, » comme dit Montaigne, un sage à qui l’on n’en fait pas accroire et qui du plus loin, selon la savoureuse expression populaire, « vous voit venir… » Ce n’est pas un orateur, — puisqu’il écoute ; ce n’est pas un théoricien, — puisqu’il observe ; ce n’est pas un réformateur, — puisqu’il attend. Un médecin ? Un auteur satirique ?… peut-être. Un philosophe ? sans doute : à coup sûr, un observateur. Car plus on le regarde plus on se sent regardé. D’après le livret, nous voyons que c’est M. Aynard, député du Rhône et membre de l’Institut.

« Membre de l’Institut » c’est ce qu’on inscrira aisément sous le portrait de M. Jean Aicard par M. Bouchor (Champs-Elysées, salle 37, no 264) puisqu’il porte l’habit vert. Mais il sera moins clair que c’est d’un membre de l’Académie Française qu’il s’agit. Et les érudits de l’avenir en douteront fort, car ils auront sans doute noté, sur leurs fiches, que les personnages représentés sous cet habit, au XIXe ou au XXe siècle, sont le plus souvent des savans, des artistes, des archéologues, des membres des quatre autres classes de l’Institut, — presque jamais des membres de l’Académie Française. Se rappelant les portraits en habit vert de Gérôme et de M. Détaille, ils décideront peut-être que voici le faciès d’un peintre… Et se tromperont-ils si fort ? Il y a beaucoup de peinture dans Roi de Camargue et dans Maurin des Maures. Parmi les paysages que les paysagistes ne nous ont jamais fait voir, il faut citer la mystérieuse Camargue, défendue par ses eaux, ses fièvres, ses taureaux, ses moustiques et son soleil, ce désert en pleine France, cette étendue éblouissante et plate faite de sable, de sel, de salicornes, d’arroches, de joncs, de tamaris, où passent des sarcelles, des foulques, des flamans, des castors, — et des mirages. Si nous avons cependant une idée et une idée pittoresque de la Camargue, c’est que des écrivains ont passé par-là et parmi les plus assidus, M. Jean Aicard. Il a été le Fromentin de ce Sahel. On fera donc une très petite erreur, si, sur la foi de son costume, on le prend pour un peintre.