Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/735

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes et leurs tièdes approches. Il semble tout endormi : Quare obdormis, Domine ? lui crie Jean Jouvenel des Ursins. En lui et autour de lui, tout se délite et va à vau-l’eau : dégoût, relâchement, veulerie[1].

Cette étrange maladie de la volonté qui frappe le Roi, dans la période immédiatement antérieure à la venue de Jeanne d’Arc, atteint aussi l’entourage et gagne, des grands aux petits, tout le royaume.

Un affaissement universel avait succédé à la violence des luttes entre Armagnacs et Bourguignons. Les peuples avaient horreur de ces excès et d’eux-mêmes ; après le coup de la rue Barbette, après le coup du pont de Montereau, après les journées alternatives des Armagnacs et des Cabochiens, la bête était à la fois ivre et dégoûtée de sang ; car ce n’est pas le naturel de la race. La fureur l’affole ; mais les retours sont prompts, avec la dépression de la honte et du remords.

Les choses en étaient à ce point que personne ne discernait plus le devoir. La lutte contre l’étranger, le bien du peuple, la paix, c’étaient les mots répétés dans les protestations officielles ; mais, depuis longtemps, les consciences étaient entrées à composition avec elles-mêmes et, sous la pression brutale des événemens, les cœurs s’étaient diminués et l’existence de chacun pelotonnée au plus étroit abri. Le courage militaire, le service du prince ou des chefs, les dernières vertus qui subsistent, d’ordinaire, aux temps où la force règne, se prostituaient à la rapacité et à la cupidité. Le but de la guerre, c’était le pillage ; le mobile des corps à corps, la rançon ; la raison des sièges « l’apaisement. » Les hommes, les partis se ménageaient pour mieux s’exploiter. Une sorte d’hostilité larvée, sans objectif net et sans ressources décisives, n’était qu’une suite de surprises et d’embuscades. Le soldat tournait à l’écorcheur. La diplomatie emboîtait le pas aux armes. L’art suprême était de garder un pied dans les deux camps.

La guerre ayant commencé par des rivalités d’influence et des dissensions dans la maison royale, avait conservé ce caractère en quelque sorte familial. Querelles de cousins, impies,

  1. J. Jouvenel des Ursins, Epître aux États d’Orléans, B. N. ms. fr., 2701. — Cf. Aug. Brachet, Pathologie mentale de Louis XI et de ses ascendans. Charles VII, passim ; et, dans un sens plus atténué, Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II chap. IV.