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ce n’était pas sa manière), mais avec une souple attention à profiter des circonstances favorables, il avait attendu son heure.

Il saisit la première branche qui s’offrit pour arrêter sa dérive : c’était une branche pourrie. Le sire de La Trémoïlle, appartenant par sa naissance, par ses alliances et par ses engagemens, au parti de Bourgogne, lui avait été recommandé par le connétable de Richemont : « Vous avez tort, avait dit le Roi ; il vous trahira, je le connais mieux que vous. » Le faible caractère de Charles VII devait réaliser ce que sa claire intelligence avait prévu. Il se mit peu à peu dans la main de La Trémoïlle ; si bien qu’un courtisan de second plan et de valeur médiocre délogea la haute aristocratie et ce connétable si fier qui, à tout prendre, valait mieux que lui.

La Trémoïlle était un gros homme audacieux et sûr de lui, parlant haut, sachant remplir sa caisse et la vider au besoin : les riches sans scrupule vont loin, dans tous les temps. Il n’était ni assez fort ni assez maladroit pour agir seul : guidé probablement par les préférences du Roi, il rappela les débris du vieux parti Louvet, les Armagnacs supportables, les soldats, les fonctionnaires, ceux qui restaient attachés, par tradition, par calcul ou par habitude, au succès de la cause royale.

On profita des fautes de Richemont ; on accabla le connétable breton, qui ne savait pas vaincre, sous les grands souvenirs de Du Guesclin et d’Olivier de Glisson. Ecrivant beaucoup, il parut bavard et imprudent. Inexpérimenté, les armées fondaient entre ses mains. Il ne sut même pas profiter, en personne, du seul succès sérieux remporté de son temps, la délivrance de Montargis, en septembre 1427.

Il est l’homme d’une politique extrêmement populaire, la politique de la « paix de Bourgogne : » mais, même cela, il ne sait pas l’obtenir. Son effort n’aboutit qu’à une suite de trêves, assez inutilement renouvelées, qui irritent l’espoir et accumulent les désillusions. Pour comble, son frère, le duc de Bretagne, fait, en mai 1427, sa paix avec les Anglais et adhère au traité de Troyes. C’est presque la trahison !

Charles VII est effrayé et dégoûté. La Trémoïlle sent le vent et s’approche ; il offre les deux choses qui manquent au Roi : de la résolution et de l’argent.

Richemont ayant quitté imprudemment la Cour, les bonnes villes du royaume reçoivent l’ordre de lui fermer leurs portes.