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Ottoman. S’ils restent mal satisfaits de leur sort, si une politique trop centralisatrice les alarme pour leur langue et leurs écoles, pour le maintien de leurs coutumes et de leur organisation politique et religieuse, toute alliance devient impossible entre la Turquie et les États chrétiens du Balkan. L’union, sous quelque forme que ce soit, ne pourrait être que la conséquence d’un apaisement complet des conflits de nationalité par l’application d’un régime très souple de liberté et de décentralisation. Cet oubli de haines séculaires, — il faut, dans leur intérêt, que les Jeunes-Turcs le comprennent bien, — il ne suffit pas de le décréter pour l’obtenir.

La question crétoise est aussi l’une de celles qui doivent être résolues avant qu’il puisse être question de négocier la conclusion d’une alliance où entrerait le royaume des Hellènes. L’admission de la Crète, comme un Etat autonome, sous la suzeraineté nominale du Sultan, dans une confédération, pourrait peut-être fournir la base d’une transaction.

La constitution d’une confédération orientale rencontre enfin un obstacle dont on ne s’avise pas toujours : c’est Constantinople. Sa situation géographique, les détroits dont elle commande le passage, l’éclat incomparable de son renom, le rayonnement de son éternelle beauté, lui donnent parmi les grandes capitales du globe une importance sans seconde. Malgré tant de ruines, elle apparaît encore revêtue de ces symboles magnifiques qui s’imposent au respect ou à l’adoration des hommes : c’est l’Empire romain qui, du haut de la ville de Constantin, projette la majesté de son ombre jusque sur nos générations d’aujourd’hui ; c’est le patriarcat œcuménique en qui survit, à travers tant de déchéances, l’image altérée mais encore imposante du catholicisme oriental ; c’est le Khalifat dans lequel trois cents millions de Musulmans révèrent la succession religieuse et politique du Prophète ; c’est Sainte-Sophie enfin, où les grands anges de mosaïque, d’un frémissement de leurs ailes d’or, semblent n’avoir qu’à secouer un mince badigeon musulman pour découvrir aux yeux le Christ dans sa gloire. La Constantinople moderne, la ville des banques, des affaires et du plaisir, la Cosmopolis où, sous l’œil des Turcs qui n’y ont guère part, des gens de proie venus de tous pays se rencontrent pour brasser des affaires et ramasser de l’or, exerce elle aussi son attrait sur les rudes et laborieux paysans de la Morée, du Pinde ou du Balkan.