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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/847

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Coulmann s’étant hasardé à insinuer cette médisance, Mars répondit du ton le plus dégagé : « La bonne histoire ! Si M. de… était venu, je vous l’aurais amené. » Quelque temps après, Coulmann rencontra au Théâtre-Français M. de… qui lui dit gaiement : « J’ai bien failli vous aller voir dernièrement à Brumath. »

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les habitués des soupers de Mars étaient : Arnault, Véron, Romieu, Vatout, Deuniée, Coupigny, Etienne Béquet, Mornay ; très peu de femmes, sauf Mmes de Bawr, Amigo, Mira, Julienne, l’actrice Fusil qui a laissé des Mémoires assez curieux. Les soupers avaient lieu les soirs où elle jouait ; les initiés se rencontraient d’abord dans sa loge, après le spectacle, et de là se rendaient à son hôtel. Trente mille francs de traitement, sa part de sociétaire, les tournées en province, plusieurs héritages, des présens anonymes, certaines pratiques d’économie, permettaient à Mars de recevoir avec élégance. Elle aimait le jeu, mais il ne lui plaisait nullement de perdre ; elle proposait elle-même, après le souper, une bouillotte à un sou la fiche, et l’enjeu ne devait pas dépasser trente sous : tranchons le mot, plusieurs contemporains lui reprochent une avarice relative.

Un bal travesti, organisé par elle, sur la demande de quelques intimes, mit en rumeur tout Paris ; le principal numéro devait être la parodie de l’Olympe. On peut croire que couplets, surprises, esprit, costumes de haut goût, ne manquèrent point à l’appel. Plantade et Isabey, tous deux en Gilles, soulevèrent des rires inextinguibles dans une parade de leur invention. Vatry, agent de change, était en Minerve ; Cournau en costume d’écaillère ; La Valette en Mercure ; Carmouche en Alsacienne ; Armand Bertin en Ecossais ; Becquet en abbé coquet ; Firmin en berger-trumeau ; Etienne en domino composé d’affiches de spectacle ; Bidault en Hercule ; Vatout en diable ; Montessuy en Vénus ; Amable de Girardin en Mars. Carle et Horace Vernet, le baron de Rothschild, Jouy, Casimir Delavigne, le baron Gérard, Lepeintre, le duc de Maillé, le duc de Mouchy, etc., faisaient assaut de verve et de plaisanteries. Romieu, en Hébé, la tête ceinte de raisins de Corinthe, avec une fontaine de marchand de coco sur le dos, conquit cette nuit-là un sobriquet ; les danseurs lui demandaient à boire : Coco, Romieu ! On ne l’appela plus que Coco Romieu, et j’imagine que, devenu préfet, et très bon préfet, il fut moins flatté du surnom, joint à la réputation