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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/848

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si méritée de joyeux mystificateur. Un grand sot de marquis pailleté se présentait à la maîtresse de maison en contant que Merle, souffrant, l’avait envoyé à sa place pour rendre compte de la fête : « Je me suis donc décidé à venir ici m’ennuyer par procuration dans un bal. — Comment ! vous ennuyer ! — Oh ! m’ennuyer, parce que j’ai mal à la tête… le mal des gens d’esprit. — Vous êtes donc malade aussi par procuration ? » reprit Mars en lui tournant le dos.

Coulmann la vit pendant sa dernière maladie : « Elle était couchée dans son lit, comme une statue grecque sur une tombe. Ses bras étaient croisés sur sa poitrine ; son pâle visage avait une expression noble et douce ; un bonnet simple, mais élégant, couvrait sa tête, et elle vous souhaitait la bienvenue d’un éclair de ses beaux yeux. Son médecin venait de la quitter. Quand il lui eut tâté le pouls, elle ne put qu’avec effort lui faire entendre sa voix d’un timbre si ravissant. Alors elle lui toucha du bout des doigts le creux de sa main pour lui exprimer sa reconnaissance et lui faire ses adieux. On peut dire qu’elle embellissait la mort, et elle avait soixante-neuf ans. » Mars laissa en mourant ses 40 000 livres de rente à Mornay qui n’avait aucune fortune. Il décrocha un portrait de son amie et l’emporta en disant : « Voilà la seule chose à laquelle j’aie droit ici. »

Soit qu’ils se proposent d’ajouter un nouveau fleuron à leur couronne, et d’achever la déroute d’antiques et vivaces préjugés, soit qu’ils n’aient d’autre souci que celui de leur honneur et de leur dignité personnelle, les comédiens, de tout temps, ont montré un assez vif empressement à se mesurer avec les gens du monde. On parla beaucoup des duels de Gavaudan et de Clauzel, en 1815, avec deux officiers des mousquetaires rouges ; un autre mousquetaire refusa de se battre avec Talma : il y avait eu du bruit, une manifestation aux obsèques de Raucourt, le clergé refusant ses prières. Elleviou avait la tête près du bonnet et se montrait aussi friand de la lame que les raffinés du temps de Louis XIII. Un haut fonctionnaire de l’Empire, M. Bizet, donnait assez souvent des bals en l’honneur de ses amis artistes, mais il n’invitait qu’avec l’autorisation de ceux-ci des personnes étrangères. Un soir, cependant, pour célébrer une grande victoire, M. Bizet avait invité quelques officiers et fonctionnaires à un bal travesti. Après le souper, ceux-ci s’émancipèrent à tel point, que Mmes Gavaudan et Saint-Aubin