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De toute l’œuvre, naguère infiniment illustre, de Mme Chapone et de Fariny Burney, d’Élisabeth Carter et de Hannah More, c’est à peine si quelques lignes se rencontrent encore, çà et là, dans les anthologies. Le moindre homme de lettres « amateur » de cette période, un Horace Walpole ou un William Mason, — pour ne point parler de l’excentrique Boswell, admis désormais à partager la popularité du personnage extraordinaire dont il nous a pieusement transmis les « propos de table, » — trouve de nos jours un plus grand nombre de lecteurs que pas une des femmes dont il se plaisait jadis à proclamer humblement l’impérissable génie. Et il a fallu à Mme Ethel Wheeler une somme merveilleuse de patience et d’audace pour entreprendre, ainsi qu’elle l’a fait, de ressusciter devant nous ce monde disparu, en un gros volume tout rempli de précieux documens pour la plupart inédits, ou du moins profondément oubliés depuis plus d’un siècle.


Chose curieuse : des deux séries de portraits qui composent naturellement ce volume, les uns destinés à nous faire connaître les femmes-auteurs professionnelles de la période des « Bas Bleus, » tandis que les autres nous représentent les Mmes du Deffand ou les Mmes Geoffrin anglaises d’alors, c’est à la première que va, d’instinct, notre sympathie. Nous découvrons avec une charmante surprise qu’une Hannah More et une Mme Chapone, dont l’œuvre entière nous est à présent devenue illisible, cachaient volontiers, sous l’emphase maladroite de leur production littéraire, d’émouvantes petites âmes largement ouvertes à toutes les passions de l’amour comme de la souffrance ; et jamais, au contraire, tout le zèle érudit de Mme Wheeler ne réussit à nous rendre aimables les figures de ces célèbres maîtresses de salons, une Mme Montagu ou une Mme Vesey, que leur fortune semblerait cependant avoir mises à même de s’adonner beaucoup plus librement à la délicate et légitime ambition de plaire. Ces brillantes mondaines avaient-elles en soi un mystérieux pouvoir de séduction si léger et subtil que nulle trace ne s’en est conservée dans ce que les documens nous rapportent d’elles ? ou bien l’art difficile où elles s’essayaient exigeait-il des qualités que leur race ou leur éducation ne leur avait point permis d’acquérir ? Le fait est que si je ne connais guère chez nous un type de « bas bleu » plus noblement attachant que celui d’Elisabeth Carter, ni plus spontané et original que celui d’Hannah More, j’ai vainement cherché à entrevoir, parmi tous les témoignages contemporains recueillis par Mme Wheeler, une Seule figure de grande dame qui apportât à ses fonctions de « bas