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supérieure, rachetant par une droiture et une liberté merveilleuses ce qui, peut-être, lui manque de l’exquise faiblesse et fragilité de son sexe. En d’autres termes, nous avons l’impression que cette jeune femme est, par-dessus tout, ce que nous serions tentés d’appeler « un bon garçon, » incomparablement naturelle, et sincère, et serviable, telle que nous la définissent les témoignages de ses deux grands amis. « Sainte Hannah, lui écrivait un jour Horace Walpole, vous êtes à la fois le parfait champion et le modèle parfait de toute bonté ! Mais combien il est vexant que toujours quelqu’un s’avise de se pendre, ou de se noyer, ou de devenir fou, afin de vous obliger à exercer votre pitié, et votre charité, et tout ce chapelet de vertus qui vous rendent si importune en même temps que si aimable, tandis que vous pourriez être dix fois plus charmante en vous bornant à écrire des livres ! »

Car le sceptique élève et confident de Mme du Deffand aurait préféré que son amie dépensât moins de chaleur à « l’exercice » de cette bonté qu’il ne pouvait s’empêcher de vénérer en elle ; mais aujourd’hui, c’est précisément par la magnifique ardeur de son zèle charitable que l’auteur du Bas Bleu conserve le plus de droits à notre respect. Nous l’admirons et aimons d’avoir constamment suivi, pendant un demi-siècle, l’impulsion généreuse qui l’entraînait au secours de toutes les misères, publiques ou privées, sans que jamais son active bonté ait revêtu la forme solennelle de la « philanthropie, » ni que son sacrifice incessant de soi-même aux intérêts d’autrui ait effacé de ses lèvres le sourire indulgent et spirituel, qui éclaire pour nous son admirable portrait. Qu’il se soit agi de protester contre l’inique partage de la Pologne, ou d’assurer un abri et du pain aux prêtres français émigrés, ou bien encore de créer des écoles pour les enfans des villages anglais, je ne puis assez dire avec quelle passion Hannah More s’est prodiguée à ces tâches diverses, trop heureuse de mettre à profit sa renommée littéraire pour obtenir de ses contemporains qu’ils entendissent ses appels, et lui vinssent en aide dans son œuvre bienfaisante. Il n’y a pas jusqu’à ses pamphlets anti-révolutionnaires qui n’aient eu, à ses yeux, la portée d’une intervention toute patriotique et chrétienne en faveur de ce qu’elle considérait comme la santé morale de l’âme populaire anglaise ; et le fait est que ces pamphlets, distribués gratuitement de village en village par des colporteurs, ont vraiment réussi à toucher l’immense public à l’intention duquel ils étaient écrits. Une flamme s’en dégageait qui avait directement jailli du cœur de la jeune femme, et dont les paysans