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mondaines de ses livres. Semblablement, tous les autres faits de son existence privée nous montrent en elle une exaltation passionnée que ni l’âge ni la pauvreté ni maintes épreuves cruelles n’étaient parvenus à rendre moins vive. Bien peu de femmes de son temps ont apporté à l’amitié comme à l’amour une âme aussi foncièrement, aussi ingénument romanesque ; et c’est elle qui, dans ses Lettres sur l’Éducation, recommandait aux jeunes filles de n’approcher des romans qu’avec « la plus grande prudence, » affirmant que ces livres dangereux « tendaient à enflammer les passions de la jeunesse, alors que l’objet principal de l’éducation devait être de les modérer et de les restreindre ! »


Mais la plus séduisante de toutes ces figures de « Bas Bleus » anglais est incontestablement celle de la féconde Hannah More, auteur de ce poème du Bas Bleu qui a puissamment contribué à répandre et à généraliser l’emploi de l’appellation symbolique dérivée, naguère, de la mise fantaisiste du « philosophe » Stillingfleet. Personne désormais, en Angleterre, ne connaît plus ce poème ni tous les autres qu’elle a produits, non plus que sa tragédie, le Comte Percy, l’un des plus grands succès de l’illustre Garrick ; et point davantage n’ont survécu les innombrables pamphlets populaires où, au nom de la religion et de la morale, elle s’ingéniait à réfuter les funestes principes de la Révolution française. Au point de vue purement littéraire, l’œuvre d’Hannah More a disparu dans l’oubli aussi complètement que, par exemple, celle de Mme de Genlis ou de Louise Colet ; et cependant tel était le charme indéfinissable qui se dégageait de la personne de cette amie de Johnson et d’Horace Walpole que, de nos jours encore, un certain prestige demeure attaché à son nom, dans l’histoire des lettres anglaises de son temps.

Il y a d’elle un superbe portrait, peint par John Opie en 1786, qui suffirait à lui seul pour nous faire comprendre tout ce que cette mémorable figure de « bas bleu » contenait en soi d’original et de sympathique. Je ne parle pas seulement de l’aimable visage aux traits réguliers et nets, s’encadrant d’une courte et épaisse toison de cheveux poudrés qui donne à l’ensemble de la physionomie une apparence quelque peu masculine, ou tout au moins « indépendante » et « philosophique : » mais la simple et loyale franchise du regard, la fine douceur du sourire dont le visage entier est comme imprégné, et le mouvement même de la tête, avec son mélange discret d’élégance et de simplicité, tout cela nous annonce une âme féminine d’une qualité