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beaucoup de Luther ! » Ce fut d’ailleurs un bon évêque et qui travailla pour son diocèse. Il déclara la guerre aux pasteurs ivrognes et matérialistes, dont il ne craignait point la haine. Mais, l’imagination encore plus amoureuse des héros antiques que des vieilles sagas, toujours altéré des sources de l’Hélicon, « où il n’y avait point, disait-il, d’eau baptismale, » les tristes cérémonies de l’Église protestante finissaient par lui causer une sorte de répulsion. De son petit évêché solitaire du Smâland, il écrivait à un ami de lui acheter deux chevaux, « et surtout pas noirs, ajoutait-il ; je ne puis souffrir cette couleur de prêtre. » Il allait plus loin dans ces vers intimes adressés à une dame et où sa sensualité païenne protestait contre l’étroite morale de son pays : « Né dis pas que cet amour est un crime. Ce crime-là, les dieux l’ont commis, les joyeux dieux qui régnaient sur Hellas !… Et leur nom restera, alors qu’on ne saura plus rien de nous avec notre morale de moine ! » Cet évêque luthérien eût été digne de s’asseoir, ô Luther, à la table des cardinaux de la moderne Babylone, qui juraient par les dieux immortels ! Je ne prétends point que tous les évêques et les pasteurs de Suède fussent à sa ressemblance. D’abord, ils n’avaient ni son génie, ni même son tempérament. Puis Tegnér, qui mourut en 1846, prolongeait jusqu’au milieu du XIXe siècle un état d’esprit plus voltairien que romantique et n’avait été touché ni de la poésie de Jean-Jacques ni des prédications de Schleiermacher.

Sous l’ascendant du Vicaire Savoyard et des théologiens allemands, et mieux encore, sous l’influence des désastres et de la patrie diminuée, l’Eglise suédoise se ranima et encouragea le pays dans sa renaissance morale. Mais, si les bons pasteurs s’y multiplièrent, elle ne produisit ni grand apôtre, ni grand théologien. Elle ne fut en théologie qu’une province de la pensée germanique. Je suis même surpris qu’une nation aussi hantée de problèmes religieux n’ait donné à l’histoire de la religion européenne qu’un maître de chapelle comme le visionnaire Svedenborg. Son XIXe siècle, riche en artistes et en savans, demeure pauvre de penseurs. Le plus original, j’entends le plus suédois, fut peut-être Vikner. Dans ses études sur les Vérités fondamentales du Christianisme, j’ai cru distinguer l’âme inquiète et tourmentée d’un poète lyrique. Il comparait le croyant au nageur dont le corps plonge dans l’élément terrestre, mais dont la tête, au-dessus des eaux, respire déjà l’atmosphère de