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l’éternité. Et il disait encore aux âmes meurtries : « Il vaut mieux voler avec une aile blessée. » Nobles images : elles me rappellent le passage où Almqvist soutient que l’esprit des Suédois participe de la nature des poissons qui remontent leurs torrens et des oiseaux sauvages ! Mais les Vikner ne font que raffermir ou consoler des cœurs solitaires. Leur parole meurt tout près du rivage.

L’Église d’État s’est transformée en une administration dont les fonctionnaires, parfaitement intègres et corrects, essaient de gérer au mieux les intérêts spirituels du pays. Ceux-ci, inébranlables dans leur orthodoxie, se convertissent au piétisme et règnent sur des coteries rigides ; ceux-là s’acquittent consciencieusement de tout ce que leurs fonctions ont d’officiel et de laïque. D’autres voient le double mal dont souffre l’Église : le piétisme qui limite l’horizon des âmes et le caractère froidement administratif qui dessèche la religion. Ils essaient, par la parole et par l’action, de disputer les fidèles aux communautés étroites et closes ; et ils voudraient, en réchauffant les prédications, faire rentrer les sacremens abandonnés dans « l’hygiène spirituelle » de leur paroisse. M. Söderblom, dans un récent opuscule sur l’Église suédoise, déclarait que l’Église a besoin de personnalités fortes et non d’hommes de science. D’autres enfin tâchent mélancoliquement de concilier leur sacerdoce avec leurs tendances philosophiques. La religion n’est à leurs yeux qu’une morale qui cherche dans les vieux symboles le moyen de se rendre plus sensible au cœur. Ne leur demandez pas s’ils croient à la divinité de Jésus-Christ. Ils vous objecteront que les Pères de l’Église grecque ne comprenaient pas le mot de Dieu ou de Fils de Dieu comme les Pères de l’Église latine. — « Mais vous, qui êtes de l’Église suédoise, comment le comprenez-vous ? » — Ils vous répondront qu’en effet Jésus se sépare des autres fondateurs de religion en ce qu’il fut plus exigeant qu’eux tous. Les autres nous apportaient des recettes de salut ; lui seul, il s’est établi comme l’intermédiaire entre l’humanité et son Père céleste. Est-il le premier des fanatiques ou l’unique fils de Dieu — « Je vois bien en quoi Jésus diffère de Bouddha ou de Mahomet ; mais est-ce une différence de degré ou de nature ? » — Ils vous assureront que le fondement historique de la religion chrétienne fait à la fois sa faiblesse et son incomparable supériorité. Le christianisme métaphysique repousse l’exégèse. Mais