Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est également demandée à La Canée et à Constantinople, et elle ne peut l’être, ici et là, que dans des vues très différentes, ou plutôt complètement opposées. Lorsque les Crétois sollicitent un statut définitif, ils entendent par ces mots que le statut doit consacrer leur annexion à la Grèce ; et lorsque le gouvernement ottoman adresse aux puissances une demande analogue, il entend que sa souveraineté doit être proclamée à nouveau, moyennant quoi il consentira à accorder une très large autonomie à la Crète. On voit tout de suite que, de part et d’autre, les puissances auraient affaire à des prétentions inconciliables et que, à chercher à les concilier, elles s’exposeraient à faire sortir de l’opposition actuelle un conflit. C’est le cas de dire que certains droits divergens ne s’entendent jamais mieux que dans le silence.

Au surplus, la Porte ne pourrait pas accorder à la Crète une plus large autonomie que celle dont elle jouit actuellement, car elle est absolue ; et la Crète ne pourrait pas obtenir une diminution de la souveraineté ottomane, car elle n’existe plus qu’à l’état figuré. Les choses se prolongeront ainsi sans détriment sérieux pour personne, si les puissances en expriment la volonté ferme à La Canée et à Constantinople. Elles semblent d’ailleurs l’avoir fait. L’entente qui s’est produite entre elles est fort heureuse. Il paraît que notre gouvernement, dans le désir de la rendre plus facile et surtout plus rapide, avait émis l’idée de confier aux ambassadeurs à Londres le soin d’en préparer les termes d’accord avec le Foreign office, et on a quelque peu, dans la presse européenne, exagéré le sens de cette suggestion. Il ne s’agissait que d’un moyen. Celui-là ou un autre devait conduire au but, si les quatre puissances avaient une égale bonne volonté de l’atteindre, et elles l’ont eue. On a parlé de divergences entre elles : nous n’en avons trouvé nulle part une trace appréciable. Le très sage discours que sir Edouard Grey a prononcé devant la Chambre des Communes a montré que l’Angleterre était pleinement d’accord avec la France, l’Italie et la Russie pour affirmer la souveraineté ottomane, confirmer l’autonomie de la Crète, et laisser à l’avenir ce qui lui appartient. Le gouvernement anglais a montré une fois de plus l’esprit pratique qui lui est habituel. Les difficultés étaient donc à La Canée et à Constantinople ; il n’y en a pas eu entre les puissances ; il y a eu seulement un échange de vues d’où l’entente finale devait sortir, et on n’a plus eu qu’à fixer les termes qui devaient l’exprimer le plus exactement.

Il fallait, en effet, répondre à la Porte qui, comme nous l’avons