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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/287

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perfides ; c’est lui qui la presse, au moment de la prétendue abjuration ; il vote naturellement toutes les sentences de condamnation ; il verse des larmes de crocodile en la voyant mourir. Mais, quand elle est morte, il essaye encore de charger sa mémoire et, dans la déposition évidemment concertée, qu’il fait aux « actes postérieurs, » il déclare qu’elle a désavoué ses voix, reconnu que ses voix l’avaient trompée et qu’elle était pleine de pénitence et de contrition pour les crimes qu’elle avait commis. « Un homme qui s’était acquis de tels titres au mépris public (Procès, III, 162) n’en resta pas moins quelque temps sur la scène. Il fut délégué pour représenter le chapitre au Concile de Bâle avec Midy et Beaupère. Mais là il se porta à des extrémités telles qu’il fut désavoué de Rouen, tandis qu’il continuait à occuper une place considérable dans la confiance des Pères du Concile. Il resta à Bâle et y mourut, probablement après la réhabilitation de Jeanne d’Arc.


Au fond, Loyseleur appartient, déjà, à la catégorie des personnages qui furent, avec Cauchon, les vrais promoteurs du procès et de la condamnation, les Universitaires.

Ceux-ci sont à Paris. Ils n’ont pour raison ou pour excuse à leur intervention, ni la timidité, ni l’ignorance : ils vantent, sans cesse, leur autorité et leur indépendance ; on ne les a jamais vus fléchir quand leurs opinions ou leurs privilèges sont en cause. Ils auraient pu s’abstenir, juger les coups de loin ; rien ne les forçait à descendre dans l’arène. Ils s’y sont jetés de plein gré ; et leur intervention donne à la vie de Jeanne d’Arc tout son sens et toute sa portée : incomplète, si elle n’eût rencontré de tels adversaires. Victime des Anglais, de Cauchon, des Normands à la solde ou terrorisés, sa mort n’eût été qu’un événement local ou, tout au plus, un incident de la défense nationale. Mais elle devient un fait universel pour avoir mis en mouvement. Ces gens de science et de doctrine, à une époque où leur science et leur doctrine erraient et risquaient d’égarer le monde, à leur suite.

La mort de Jeanne d’Arc, couronnant sa mission, fut l’échec le plus grave que subit ce corps plein de superbe : qu’on scrute le sens profond de l’histoire, on verra qu’il ne s’en releva pas et de quelle importance fut cette chute. L’orgueil de la vieille Sorbonne périt à cette date. Le simple bon sens d’une fille du