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être éloignés et le pays élargi alentour, ledit corps mystique (c’est à savoir la seigneurie du royaume) ne pourra se soutenir et sauver. »

Donc, il faut ouvrir les chemins de Paris. Que le roi d’Angleterre aille se faire couronner à Reims, et qu’il se dirige, ensuite, avec toutes ses forces, sur le Berry, le Bourbonnais, Forez, Beaujolais, Orléans, Sologne, « delà et oultre la rivière de Loire ; » pour cela, le Duc de Bourgogne lui viendra en aide. Mais il convient, d’autre part, que le roi d’Angleterre aide le Duc de Bourgogne à s’emparer de la Seine, de l’Oise, et pays de Champagne et de l’Ile-de-France. Pour Compiègne, le duc s’en charge, non sans faire état de la difficulté. Il faut bloquer la ville et essayer de la prendre par la famine : « car qui, de présent, la vouldroit assiéger, on y pourrait demourer longuement et y faudrait emploier très grand nombre de gens[1]. »

Les parts ainsi faites, et il n’est pas difficile de suivre, dans cet exposé, les habiletés du duc. Tout est mis en mouvement. Une armée, avec un appareil énorme de munitions et d’engins de guerre, se porte sur les bords de l’Oise. Les alentours sont occupés d’abord, les petites places soumises ou cernées. La prise de Compiègne n’est maintenant qu’une affaire de temps.

Enfin, Charles VII. et ses conseillers ouvrent les yeux. Quand depuis trois mois, les hostilités sont commencées en fait[2] ; quand, depuis trois semaines, le duc Philippe est à Péronne, à la tête de ses troupes, la Cour de France adresse à l’intermédiaire éternel de la politique des trêves, le duc de Savoie, la piteuse lettre où l’on avoue avoir été trompé, bafoué. Il est à peine croyable, mais il est exact que l’on implore une nouvelle prolongation des trêves jusqu’au mois de juin. Toutefois, la rancœur est la plus forte ; on incrimine la conduite du Duc de de Bourgogne et des Anglais ; et si l’on défend, — bien platement, — la vaillante conduite des habitans de Compiègne « pour aucuns empêchemens survenus, non pas par notre faute, » du moins on ne les abandonne plus et, entre les lignes diplomatiques du Mémoire, on voit apparaître une première résistance :

  1. Il est très curieux que, par la suite, Philippe le Bon désavoua cette campagne, qui avait été sa grande pensée, comme Bedford avait désavoué l’idée du siège d’Orléans. Il écrit à Henri VI : « Je suis allé devant Compiègne, jaçoit que l’avis de moy et de mon conseil ne fut pas tel. » Dans Stevenson (IIe partie, I, 156).
  2. Le commencement des hostilités peut être fixé au 20 février, date où Jean de Luxembourg quitte Péronne avec l’avant-garde de l’armée bourguignonne.