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si l’on ne peut plus faire autrement, on recourra aux armes.

Le 6 mai, Regnault de Chartres est à Compiègne où sa présence alterne, pour ainsi dire, d’une façon bien inquiétante, avec celle de Jeanne d’Arc (Procès, V, 175)[1] ; le chancelier rédige alors un manifeste du Roi qui peut passer pour l’instrument de la rupture : « Notre adversaire de Bourgogne nous a trop longtemps amusé et déçu par trêves, sans ombre de bonne foi, alors qu’il disoit et affirmoit ne vouloir parvenir qu’au bien de la paix… Mais, maintenant, il montre, bien clairement, qu’il n’a eu aucune volonté de parvenir à la paix ; il n’a cessé de favoriser nos ennemis et il a levé une armée pour faire la guerre à nous, nos pays et loyaux subjects[2]. »

Jeanne d’Arc s’efforce de réparer, à force d’héroïsme, les fautes qu’un aveuglement si obstiné a fait commettre. Du mois d’avril à la fin de mai, elle se multiplie avec ses faibles ressources ; elle se bat chaque jour, pour ainsi dire, autour de Compiègne, retardant, autant que possible, l’heure de l’investissement : vue militaire des plus justes encore, puisqu’elle répond (comme on vient de le voir) à la secrète inquiétude de l’adversaire. Elle peut réunir, un instant, jusqu’à 2 000 hommes de guerre éprouvés avec lesquels elle fait beaucoup de mal à l’ennemi, et, en retardant les événemens, permet aux armées royales de se rétablir et de se mettre en mouvement.

Cependant la trahison de Guichard Bournel, qui livre Soissons et ouvre au Duc de Bourgogne la route de l’Aisne (18 mai), la capitulation de la petite ville de Choisy-au-Bac, dont le pont assurait les communications entre Noyon et Compiègne (16 mai), resserrent le cercle des opérations. Visiblement aussi, Jeanne est gênée et entravée par la présence du Conseil royal dans cette région, le comte de Clermont, Regnault de Chartres qui ne la quittent guère. L’archevêque, depuis l’échec de la politique de

  1. Jeanne d’Arc se méfiait beaucoup des « Bourguignons » de Compiègne. Elle partageait le lit de Marie le Boucher, femme du procureur du Roi et, d’après les notes manuscrites de Jean Le Féron, petit-fils de Marie le Boucher, « faisoit souvent relever de son lit ladite Marie, pour aller advertir ledict procureur qu’il se donnât de garde de plusieurs trahisons des Bourguignons. » — Fait des plus importans, à la tête de ces suspects se trouvait Jean Dacier, abbé de Saint-Corneille de Compiègne, familier de l’évêque Cauchon, et qui fut un des juges de la Pucelle, à Rouen. On comprend que Jeanne d’Arc ait répété, à diverses reprises, pendant son séjour à Compiègne, qu’elle se sentait trahie. — Vallet de Viriville, Charles VII (t. II, p. 151).
  2. Archives de Reims, dans Jadart, loc. cit.