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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/374

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pleine lune fait son apparition, des cascades mugissent, partout des bruits d’eau et souvent des gués à passer. Sur un grand pont nous stationnons pour attendre la caravane attardée. Le plaisir de voir et mon inconfortable boîte me tiennent en éveil : le spectacle est admirable. Les porteurs, assez médiocres d’ailleurs, crient et font du tapage. Il est cinq heures du matin quand ils m’apportent, tête en bas, au bungalow de Churia, après dix heures et demie de course sur ces maudites barres !

Après le tub, le lit est vite installé ; j’essaie de dormir, mais en vain, tant les hommes font de bruit. Il faut attendre midi pour goûter enfin la douce paix que trouble seul le chant des oiseaux. J’en profite pour mettre mon journal à jour et à quatre heures, après dîner, je repars avec mon escouade île quarante coolies, plus nombreux que la relève évidemment, car une vingtaine me paraissent courir les mains vides. Mon nouveau garde du corps népalais est venu me saluer avant que nous ne nous soyons mis en marche ; il trotte comme les autres, toujours courant, son parapluie sous le bras, à la ceinture ce houkjri qui abat un buffle d’un seul coup et, de quelques-uns, un arbre.

Nous redescendons dans le lit de la grande Rapti, que j’ai déjà suivie la nuit précédente ; et, pendant deux bonnes heures, mes hommes courront et descendront sur les pierres. De hautes falaises se dressent presque à pic sous une jolie et légère végétation au milieu de laquelle de grands arbres cherchent le ciel. Des bœufs lourdement chargés nous croisent avec gravité. L’un d’eux, sans doute, ne se range pas selon les règles ; un de mes hommes l’ayant frappé, la caravane a voulu venger l’animal, d’où pugilat et coups de bâton. Mes gens, en vérité, ont la tête près du « turban blanc. » Un facteur, un oulak, toujours courant, avec son bâton muni de grelots à la main, nous dépasse non sans venir me saluer respectueusement au passage. La rivière s’élargit, forme des îlots, et à mesure que nous descendons, elle se fait vallée. Les chevaux d’une grande caravane y paissent librement et les lourds tins (bidons carrés) à pétrole, que des coolies porteront dans la montagne, les attendent.

Vers six heures du soir, nous sommes à Bitchakoh ; le Maharaja premier ministre y possède un pavillon et il y a fait construire une piscine carrée avec un jet d’eau et des robinets d’ablutions. On y voit quelques riches maisons, mais c’est le pays de la fièvre, de l’aoul ; à la nuit tombante, on la sent