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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/379

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et de vent ! » Ou bien, il jette, à la fin d’un carnet : « Aujourd’hui, 12 décembre 1862, anniversaire de ma quarante et unième année, été chez M. de Lesseps porter un exemplaire de Salammbô pour le bey de Tunis, — chez Janin, — déjeuner chez Ed. Delessert, — chez H. Berlioz, — au Palais-Royal, m’inscrire chez le Prince, — acheté deux car cela, — reçu une lettre de Bouilhet, — et m’être mis sérieusement au plan de la première partie de mon roman moderne parisien… ? ? ? »

Heureusement pour nous, les carnets de Flaubert renferment, — et en grand nombre, — des confidences moins strictement personnelles. L’un d’eux, daté de 1870, s’intitule : Expansions. Un autre, sans date, porte cette épigraphe : Spira ! Spera ! (Souffle ! espère ! ) Les deux rubriques sont également révélatrices : il a déversé, dans ses pages, le trop-plein d’émotions et d’idées qui l’assaillaient au cours de ses journées et de ses nuits laborieuses, et, — d’un bout à l’autre, — on y sent circuler le souffle ardent du brasier jamais éteint que fut sa grande intelligence.

A ceux qui nieraient d’avance la valeur de ces notes intimes et qui contesteraient l’utilité de leur publication, je répondrais que, si elles n’ajoutent rien à la gloire de l’artiste, elle nous font mieux connaître l’homme et apprécier plus exactement la fécondité de son imagination et l’étendue de son esprit. Elles démentent victorieusement ceux qui s’obstinent encore à considérer Flaubert comme on ne sait quel cuistre muré dans des besognes de style, — qui vont même jusqu’à douter de son intelligence, ou qui lui reprochent d’avoir manqué de cœur[1].


II

Voici d’abord des croquis destinés à des romans futurs, ou crayonnés pour le plaisir, des phrases qu’il tenait en réserve, des traits de mœurs contemporaines, des pensées morales ou sociales, des boutades, de l’humour, un peu gros, comme il l’aimait[2].

Enterremens parisiens. — Enterrement de la fille de C…[3]. Tous les camarades, si affligés qu’ils soient, prennent des poses. Pas une attitude vraie. Les comiques ont une douleur bonhomme, l’attendrissement avachi : « Mon pauvre vieux ! » Les tragiques : « Quel désastre ! »

La main dans le gilet et la tête au vent, C…, dont la face ruisselait de larmes, s’était fait friser les moustaches.

  1. Après les Lettres à sa nièce Caroline, ce reproche est, au moins, singulier.
  2. Bien entendu, nous ne donnons ici qu’un choix de ces notes. C’est à l’éditeur qu’il appartient de les publier intégralement.
  3. Directeur d’un des grands théâtres parisiens.