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ait jamais disposé. Cortez conquit le Mexique avec moins de mille compagnons espagnols et, lorsque Pizarre descendit au Pérou, il était à la tête de cent quatre-vingts Européens. Au commencement du XIXe siècle, le départ de la famille de Bragance pour le Brésil, avec huit mille Portugais, mobilisa seize vaisseaux de guerre et plusieurs bâtimens marchands ; beaucoup de ces immigrans, plus ou moins volontaires, sont demeurés en Amérique, où jamais encore pareil contingent n’avait débarqué d’un seul coup ; si l’on songe aux effectifs que réclame le peuplement, il est clair que même ces afflux exceptionnels n’étaient que de « petits paquets. » Espagnols et Portugais n’ont constitué, dans l’Amérique, que quelques groupes ; Lima, au milieu du XVIIIe siècle, ne comptait que 18000 blancs ; Mexico, en 1790, avait 50 000 créoles à côté de 23 000 Espagnols nés ; dans les campagnes, il eût été difficile de rencontrer des métropolitains de pur sang européen.

Aussi cette minorité, qui se considérait comme une élite, tenait-elle obstinément à ses privilèges. Les hauts fonctionnaires touchaient de forts appointemens, grossis par des supplémens traditionnels, sinon légaux, et ne s’attachaient pas au pays ; il leur était défendu de s’y marier : en 1605, l’un des gouverneurs du Chili, Rivera, fut déplacé pour avoir épousé une créole. Le clergé veillait à l’observation de ces prescriptions surannées ; relevant directement du Roi, riche des dîmes qu’il percevait et du revenu de ses immeubles, il exerçait son contrôle sur les livres et sur l’enseignement et, s’il a compté dans ses rangs des prêtres charitables et des explorateurs avisés, on doit avouer qu’il n’a jamais rien fait pour encourager l’instruction, ni surtout pour pousser à la concorde civique entre les divers élémens de la société coloniale. « Apprenez à lire, à écrire et à réciter vos prières, disait un Père à des élèves créoles ; c’est là tout ce qu’un Américain doit savoir. » Et comme, malgré tout, les créoles ne s’en tenaient pas là, comme ils réclamaient de plus en plus vivement contre les exclusions dont ils étaient frappés, c’étaient des luttes perpétuelles entre eux et leurs tuteurs.

Les métis étaient encore plus suspects aux blancs ; cependant cette division était surtout marquée dans les colonies qui pratiquaient le travail servile, par des noirs d’Afrique. Le « préjugé de couleur » n’existait pas contre les Indiens et les sang-mêlé d’Indiens et d’Européens, soit que les Indiens, réfractaires à