Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

côtes de Patagonie, Azara parcourait les pays du moyen Parana, membre d’une commission de délimitation entre les domaines espagnol et portugais ; en 1760, les Jésuites avaient publié une carte du Paraguay.

Tous ces indices concordent ; le régime espagnol et portugais, tel qu’il a végété pendant plus de trois cents ans, est devenu un anachronisme. Les inégalités sociales et politiques blessent des sujets en passe de devenir des citoyens. Créoles, métis, indigènes se plaignent de toutes parts qu’il y ait incompatibilité entre ces institutions surannées et des libertés dont ils réclament la jouissance, avant même d’avoir formulé leurs droits. Un vice-roi même, Bernardo Galvez, préparait la sécession du Mexique, lorsqu’il meurt prématurément (1786). Le cacique Codorcanqui, descendant des Incas, fait pendre un jour un employé du fisc qui avait imposé trop lourdement des tribus indigènes ; il périt dans les supplices (1740), mais sa mort est le signal d’une guerre atroce, qui rapproche pour quelques années les créoles des Espagnols nés. A Ouro Preto, capitale de Minas Geraes, les habitans refusent de payer les taxes que des favoris de la Cour, concessionnaires des mines de diamant, prétendent exiger d’eux. L’expulsion des Jésuites (1767), qui bouleversa les seules institutions de politique indigène ayant jusque-là montré quelque vitalité, est une satisfaction donnée aux Paulistes en même temps qu’à l’esprit philosophique des « despotes éclairés. »

Charles III appartient à la série des princes réformateurs qu’animent, une trentaine d’années avant la Révolution, les idées de Voltaire et de l’Encyclopédie. Il a compris tout ce qu’il y a de vermoulu, de dangereux par conséquent, dans l’administration coloniale de l’Amérique espagnole : il dédouble le pouvoir des vice-rois, en plaçant auprès d’eux des intendans, chargés des services de finances, de police et de contrôle des groupemens locaux ; il fait tracer des routes, ouvrir des collèges, développe l’élevage et les plantations ; il inaugure un service postal entre l’Espagne, Cuba, le Mexique et Buenos-Ayres ; il autorise petit à petit tous les Espagnols, par tous les ports d’Espagne, à faire du commerce avec l’Amérique ; innovation plus hardie encore, il permet aux Américains de commercer librement entre eux. Le ministre portugais Pombal, moins bien inspiré, déclare l’égalité civile des indigènes du Brésil et des blancs, générosité prématurée, qui demeure toute théorique ;