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pour briser un prétendu monopole commercial des Jésuites, il fonde dans le Nord du Brésil deux compagnies à privilège, dont l’existence est courte ; ses réformes ont certainement moins valu que ses intentions ; mais lui aussi, comme Charles III, était persuadé qu’il fallait innover, si l’on voulait sauver les domaines américains des monarchies d’Europe : tous deux arrivent trop tard.


II

Les dernières années du XVIIIe siècle sont vraiment dramatiques : les Etats-Unis s’affranchissent de l’Angleterre et Washington fonde la première république américaine ; la Révolution française renverse la plus vieille dynastie de l’Europe, ébranle tous les trônes autour d’elle et se mue en une irrésistible dictature militaire ; l’Amérique latine était prête à répéter les échos de ce fracas de guerre et d’émancipation. Elle est, pendant la Révolution française, surprise par la tyrannie maladroite du gouvernement de Charles IV ; sous ce prince dont l’autorité n’est pas mieux établie sur ses ministres que sur sa propre famille, les innovations libérales de Charles III sont répudiées ; la métropole refuse d’ouvrir, pour les Indiens, des écoles élémentaires, pour les créoles, quelques universités et une école navale ; l’évêque de Santa-Fé déchire qu’à tous ces sujets de la Couronne, le christianisme seul suffit. Les Cortès de Cadix, pendant l’occupation française de l’Espagne, ne comprennent pas, mieux que Charles IV, les aspirations coloniales, et quant à Joseph Bonaparte, dont l’entourage afrancesado eût montré sûrement plus d’intelligence, il n’eut pas le loisir de s’occuper de l’Amérique, sinon pour y députer quelques fonctionnaires qui ne furent même pas acceptés par les habitans.

Les Américains furent donc, dès lors, livrés à eux-mêmes et le gouvernement espagnol ne les avait nullement préparés à faire, immédiatement, un usage judicieux de leur liberté. Les hommes qui ont pris, parmi eux, la direction du mouvement de l’indépendance, avaient tous reçu une instruction européenne : originaires d’Amérique, ils étaient venus chercher de l’autre côté de l’Atlantique ce que le régime colonial n’était pas capable de leur offrir, des maîtres intellectuels, des livres et