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tutelle qui n’avait pas su prévoir leur majorité, mais plus gênées peut-être de se réveiller sans tuteurs qu’habiles à profiter de leur émancipation. On vit alors des Etats reconnus diplomatiquement avant même d’exister autrement que par une fiction de pure complaisance ; l’Angleterre et les Etats-Unis étaient les premières puissances intéressées à la destruction du régime espagnol, puisque leur commerce maritime bénéficierait sans délai, et encore sans concurrens, du retrait des anciennes prohibitions douanières ; de là leur empressement à encourager ces « insurgés. » L’amiral Cochrane transporte des troupes américaines du Chili au Pérou ; plus tard, lorsque le Brésil se sépare du Portugal, tout en demeurant un Empire de la maison de Bragance (1822), il facilite cette sécession et devient commandant de la Hotte impériale. Rivadavia obtient, dès 1823, la reconnaissance par l’Angleterre et les Etats-Unis de la « République des Provinces-Unies de la Plata, » alors qu’il n’a pu mettre d’accord Buenos-Ayres et les capitales de l’intérieur. En 1822, les Etats-Unis accueillent la déclaration d’indépendance de la République Colombienne et cependant Bolivar, retenu au Pérou, va en revenir quelques mois plus tard pour imposer par la dictature une constitution autour de laquelle on se bat.

Partout, en somme, le morcellement et l’anarchie : aussitôt que le régime espagnol s’est effacé, les divisions sociales qu’il avait exaspérées s’épanouissent et paralysent l’énergie plus politique de quelques hommes supérieurs. Il n’y a alors, en Amérique latine, aucun principe national autour duquel des Etats puissent s’agréger ; les vice-royautés d’antan étaient bien modelées sur les traits essentiels de la géographie, et c’est pourquoi petit à petit elles se transformeront en nations modernes ; mais, au lendemain de la crise de l’indépendance, ce ne sont plus que des cadres vides. Du dehors, aucune intervention persévérante ne jettera non plus, sur la terre sud-américaine, la semence de la vie politique moderne ; seul le Brésil, par la transition de l’Empire des Bragance, double plusieurs étapes ; partout ailleurs, il s’accomplit un travail spontané, tout intérieur et qui n’est pas entièrement achevé aujourd’hui, après cent ans passés ; il y a là certainement un des phénomènes les plus attachans de l’humanité contemporaine.

Pendant des années, les anciennes colonies espagnoles