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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/460

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instruite, accueillie dans les maisons les plus aristocratiques, Jeanne-Marie Bouvières de la Mothe-Guyon n’est aucunement une aventurière. Mais après la lecture des romans celle des livres mystiques lui avait troublé la tête qui n’avait jamais été bien en équilibre. Elle avait promené, à travers les provinces, un grand diable de Père Lacombe, barnabite, et ayant perdu cet acolyte, elle cherchait un autre compagnon de mysticité, quand elle rencontra Fénelon. Elle avait quarante ans, lui trente-sept. « Leur sublime s’amalgama, » dit Saint-Simon, dont cette fois le mot sonne juste. Il faut qu’il y ait eu chez Mme Guyon un pouvoir de séduction qui aujourd’hui nous échappe parce qu’il était inhérent à la personne, même ; mais il est vrai qu’elle avait séduit, entre autres, Mme de Maintenon et tout Saint-Cyr. Elle trouva accès auprès de Fénelon, en raison de ce qu’il y avait dans l’esprit de celui-ci d’inquiet, d’inassouvi, de quasiment morbide. M. Lemaître l’a montré supérieurement dans une page délicate où il répond à cette question : Qu’est-ce donc que Mme Guyon apprit à Fénelon ? « Il était très tendrement pieux, nous le savons ; il recommandait la prière filiale, familière, confiante. Il prêchait affectueusement, sans souci des règles. Il était très enthousiaste, très chimérique (précis toutefois dans la pratique et en ce qui regardait son avancement temporel), et aussi, je le crois, très candide avec tout son esprit. Sa foi même en une demi-folle en est la preuve. Enfin, treizième enfant d’un quinquagénaire, il fut toujours de très faible santé, comme son amie. De là peut-être une continuelle inquiétude, de fréquentes langueurs, des crises d’extrême sensibilité alternant avec des momens d’invincible « sécheresse. » Un besoin d’amitié, de soutien, de confidence qui ne l’empêchait pas d’être, dans les occasions, impérieux, dominateur, cassant ; un goût du rare et du distingué, — et du mystère… Quoi encore ? En deux mots, ce qu’il appelait lui-même son « inexprimable fond. » Oh ! non ! il n’était pas simple. C’était une âme de désir et d’angoisse. Dépris de ses rêves héroïques de jeunesse, déçu ensuite dans son apostolat à l’intérieur, rejeté à la direction des âmes de femmes, il cherchait, quoi ? La sainteté. » Seulement il la chercha par des voies d’exception qui risquaient de le faire glisser jusqu’à l’hérésie. Et Mme Guyon, hélas ! enseigna aussi à Fénelon tout un monde de puérilités et de niaiseries. C’est ce qu’on voit par leur correspondance secrète, dont on n’avait pas « voulu » admettre jusqu’ici l’authenticité ; mais M. Maurice Masson l’a démontrée dans un livre excellent Fénelon et Mme Guyon. Mme Guyon avait organisé l’armée du Saint-Esprit, l’ordre des Michelins. Elle appelle Fénelon, le général, et Bi et