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été bénignes ; il n’y aurait même pas lieu d’en parler si elles n’en avaient pas amené d’autres. Les évêques ont parlé, ils se sont plaints, mais ils l’ont fait dans des termes dont personne n’a pu attaquer la convenance. Des dames, dont la plupart appartiennent aux classes aristocratiques, ont manifesté de leur côté et ont demandé à être reçues et entendues par le ministre. Il faut avouer que tout cela était bien inoffensif et qu’il n’y avait pas lieu d’en prendre ombrage. Cependant les libéraux, les radicaux, les républicains, les socialistes, les anarchistes, les libres penseurs ont jugé indispensable d’y répondre par des contre-manifestations auxquelles il était facile de donner un caractère beaucoup plus imposant.

Elles ont eu lieu dans la rue sous la forme de cortèges qui ont parcouru Madrid, Barcelone, Tolède. On assure qu’à Madrid 80 000 hommes ont été mis en mouvement. L’ordre a d’ailleurs été parfait depuis le commencement jusqu’à la fin. Mais on ne peut parler que de l’ordre matériel. La manifestation unissait en effet les élémens les plus hétérogènes, les moins habitués à marcher ensemble, les plus opposés en temps normal. M. Moret semblait mener le chœur, bras dessus bras dessous avec les représentans les plus qualifiés des partis républicain et socialiste. La libre pensée seule les unissait, nous le voulons bien ; plusieurs d’entre eux n’étaient même pas des libres penseurs dans le sens qu’en France on attache généralement à ce mot, ils n’avaient pas l’intention de manifester contre le sentiment religieux lui-même ; mais ce sont là des distinctions dont la subtilité échappe aux masses qui ne voient les choses que très en gros et vont droit à des conclusions sommaires, rapides, brutales. Le loyalisme monarchiste de M. Moret ou de M. Canalejas ne saurait être mis en doute : toutefois, si des manifestations de la nature de celles qui viennent d’avoir lieu se renouvelaient, le gouvernement risquerait fort d’être entraîné, emporté à gauche beaucoup plus loin qu’il n’a l’intention d’aller. Plusieurs journaux se demandent déjà si M. Canalejas ne sera pas bientôt le prisonnier des républicains. Tous ces événemens, ceux de lame surtout, devaient avoir de la répercussion aux Cortès. Les républicains s’y sont plaints de ce qu’avait eu d’excessif la répression des émeutes de Barcelone. L’affaire Ferrer a été remise en cause. Il ne s’agissait plus des questions religieuses actuellement pendantes, ni de la supériorité du pouvoir laïque, ni du Concordat, ni de la Constitution. Des élémens nouveaux, dangereux, pernicieux, sont entrés dans le débat. Un socialiste, M. Pablo Jegledias a dépassé toute mesure et provoqué dans la Chambre une protestation presque