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Mais la captive de Rouen n’avait pas pour mission de débrouiller la longue énigme que le schisme, les partages d’obédience, les rivalités entre le Pape et le Concile, les revendications des Eglises locales, les dissensions entre les aristocraties, les démocraties, les corps constitués et les fidèles posaient devant les clercs de son temps.

Ces questions lui avaient été soumises cependant, une première fois déjà, et les juges de Rouen lui en avaient fait reproche. A la question du comte d’Armagnac, lui demandant « quel est le vrai pape ? » la réponse qu’elle fit prouve, du moins, que son état d’esprit était celui de la plus grande partie de la chrétienté ; elle n’osait se prononcer et s’en tenait à cette formule « qu’il fallait obéir à Notre Seigneur le Pape qui est à Rome[1]. »

Les clercs et les universitaires, malgré toute leur science, n’en savaient pas beaucoup plus long. Seulement, eux mettaient le Concile au-dessus du Pape, même du Pape de Rome. L’appel de Jeanne, conseillé probablement par l’un d’eux, est libellé : « au Concile et au Pape. » En un mot, pour les clercs comme pour les fidèles, c’est l’incertitude, c’est le trouble, c’est le désordre. Désordre dans l’Eglise, désordre dans le siècle. Et, pendant longtemps encore, il en sera de même.

Il en sera de même, comme le disaient et le déclaraient les hommes les plus sages, tant que la royauté française n’aura pas repris son ancienne splendeur, tant que l’union n’aura pas été rétablie et renouvelée entre le royaume de saint Louis et l’Église romaine. Le salut de l’Europe et de la civilisation est à ce prix.


Que le salut du royaume ait été l’œuvre de Jeanne d’Arc, par la courte campagne qui commence à Orléans et qui finit à Compiègne, cela est de toute évidence ; que le salut du royaume de France ait, à son tour, apporté le secours indispensable à l’Eglise catholique, au moment où elle penchait vers sa ruine, c’est une suite logique des choses qui ne peut guère être contestée ; encore une fois, si la France fût devenue anglaise ou « bourguignonne » elle fût devenue probablement protestante et, sans son appui, Rome périssait. Mais il faut ajouter, pour être précis et pour être complet, que la vie et la mort de Jeanne d’Arc

  1. Procès (I, p. 83).