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eurent une action plus immédiate encore sur les événemens qui allaient décider du sort de la Papauté.

La coïncidence qui fît, des juges de Jeanne d’Arc, les représentans, au Concile de Bâle, de l’oligarchie ecclésiastique, et les meneurs de la politique anti-papale, cette coïncidence apparaît comme un de ces contacts surprenans d’où jaillit la lumière.

Partout, dans la chrétienté, la question de discipline, la question de « l’autorité » était posée. Or, Jeanne, en son bon sens, trouve, la première, les vraies formules capables de la résoudre. En les opposant aux personnages qui furent, à la fois, ses juges et les Pères du concile, elle remplit sa destinée, mais avec une telle justesse et une logique si transcendante, qu’il est bien difficile de ne pas reconnaître, là, quelque chose de supérieur à la marche ordinaire des affaires humaines.

Jeanne est une prisonnière de guerre ; elle a joué un rôle militaire et national ; son action a été laïque et politique. Or, le procès qui lui est intenté par l’adversaire national et ethnique, est un procès théologique et religieux. Pourquoi la captive de Compiègne, pourquoi la simple bergerette a-t-elle à s’expliquer sur ces questions ? Pourquoi le débat qui va s’agiter, au château de Bouvreuil, est-il celui qu’a ouvert Wyclef, auquel interviennent les Hussites, qui divise les Pères du concile et qui se renouvellera dans les méditations de Luther à la Wartbourg ?

Il faut que Jeanne d’Arc dise, sous peine de mort, ce qu’elle pense de l’autorité dans le sein de l’Eglise. Oui ou non, le fidèle peut-il se passer du clergé, du Pape, des conciles ; en un mot, est-il besoin d’intermédiaire entre le fidèle et Dieu ? C’est le problème du siècle, — suite naturelle du désordre de l’Eglise. Ce n’est plus seulement le comte d’Armagnac qui s’adresse à cette fille inspirée pour savoir ce qu’il doit penser du Pape. Ce sont ses juges, Pères du concile, qui la traquent. Ils montrent le bûcher : il faut qu’elle parle.

Puisque cela est, pourquoi ne pas le reconnaître, c’est Jeanne qui apporte les solutions les plus simples, les plus fortes, les plus efficaces à ces difficultés sur lesquelles s’épuisent les théologiens, les hommes d’État et les hommes d’Eglise.

En réservant le droit individuel, elle le subordonne, dans une gradation véritablement magistrale, à l’Eglise d’abord, puis à, Dieu. Cette Française, qui vécut quatre-vingts ans avant Luther, découvre les principes d’après lesquels l’Eglise se sauvera de la