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Réforme. Par le simple fait que les questions se posent à cause d’elle, elle détermine, dans le cadre latin, les modalités et les limites de l’évolution nécessaire. Elle concilie le sens individuel et la discipline, en réclamant l’obéissance, mais seulement pour qui en est digne.

Sans le savoir, mais non sans le vouloir (parce qu’elle est tout cœur et volonté), elle parle comme les grands penseurs et les grands cœurs catholiques, comme les grands disciplinés et les grands réformateurs : saint François, saint Thomas, saint Bernard. Si j’osais imposer, à cette simple fille, le langage de l’École, je mettrais dans sa bouche les paroles de saint Thomas d’Aquin sur la connaissance de Dieu : Divina cognitio non est inquisitiva… Non per ratiocinationem causata, sed immaterialis cognitio rerum, absque discursu… « La connaissance de Dieu n’est pas affaire de recherche ou de déduction… elle ne résulte pas d’un raisonnement dialectique ; c’est une aperception immatérielle de la vérité, sans phrases… »

Jeanne d’Arc n’eût pas dit ces belles choses si doctement ; mais elle voyait, clair comme le jour, que Dieu c’est le bien ; elle aimait la loyauté, la justice, la vérité ; elle était prête à se sacrifier pour ces causes ; donc, elle connaissait Dieu et elle aimait Dieu « sans phrases, » absque discursu.

Quant aux « intermédiaires » qui se réclamaient de leurs titres devant elle, elle les dévisageait : ils ne croyaient pas à Dieu, puisqu’ils ne croyaient pas au bien ; c’est pourquoi elle déclinait leur compétence et leur autorité, leur autorité et leur compétence devant se subordonner, d’abord, à la volonté divine.

Voici son langage, non moins net et non moins clair que celui de saint Thomas : « Je crois bien que Notre Saint-Père le Pape de Rome, les évêques et autres gens d’Eglise sont établis pour garder la foi chrétienne et punir ceux qui y défaillent ; mais, quant à moi, de mes faits, je ne me soumettrai qu’à l’Église céleste, c’est-à-dire à Dieu, à la Vierge Marie, aux saints et aux saintes du Paradis. Je crois fermement n’avoir pas failli en notre foi et, pour rien au monde, je n’y voudrais faillir… » — « Ne vous croyez-vous donc pas soumise à l’Eglise de Dieu qui est sur la terre, c’est-à-dire au Pape, notre seigneur, aux cardinaux, aux archevêques, aux évêques et autres prélats de l’Église ? »

— « Oui, je m’y crois soumise : mais Dieu premier servi. »

— « Avez-vous donc commandement de vos voix de ne pas vous