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successifs et impuissans, à s’approcher de l’inaccessible entité.

Mais, dans tous les temps, les synthèses, les doctrines, les pensées communes à de grandes masses, sont des forces qui, nées de la vie, déterminent la vie ; plus elles sont vastes, plus elles abritent de présent et d’avenir, plus elles sont respectables. Or, n’est-il pas démontré, maintenant, que les synthèses historiques et actives groupées autour de Jeanne d’Arc et qui se reflétaient en son âme pure comme le cristal, prenaient racine au plus profond des sentimens humains, tout en s’élançant vers le divin ? Une grande partie de l’humanité vit encore et vivra longtemps à leur ombre.


À cette fille sortie de son village, l’histoire de son temps et l’histoire des siècles ont fait cortège. France, Angleterre, Bourgogne, Concile, Papauté, Réforme, Église, Civilisation, il faut parler de tout cela quand on essaie d’expliquer ce qu’elle fut, ce qu’elle fit, pourquoi elle vint : c’est beaucoup pour une bergerette. Le grand mystère est là.

Certes, elle ne savait rien de cette épopée, quand elle quitta Domremy pour Vaucouleurs ; mais la plupart des fondateurs ignorent la grandeur future des édifices dont ils posent la première pierre. Elle avait beaucoup d’avenir dans l’esprit, personne ne le conteste et c’est pourquoi ses contemporains lui attribuaient le don de prophétie. Elle avait vu, d’avance, la marche des événemens, la délivrance d’Orléans, le sacre de Reims, la campagne de Compiègne, le rappel de Richemont, la défaite totale des Anglais.

On ne peut aller plus loin, ni dire qu’elle entrevit la réforme de l’Église, la part qui serait faite à l’inspiration personnelle, au travail, la ruine des oligarchies, l’avènement des démocraties, les futurs aménagemens de l’humanité. Mais elle contribua à ces changemens par la façon sincère dont elle s’expliquait sur ces choses qui, si grandes soient-elles, sont de la vie normale de l’humanité. Un savant eût tout embrouillé ; ses livres lui eussent caché la vérité. Elle disait son sentiment tout droit et cela suffisait ; car ces problèmes se posent chaque jour devant les consciences ; la règle est la même à tous pour les résoudre ; et si on ne les complique pas, ce n’est pas si compliqué.

Tenons-nous-en au fait le plus évident : Jeanne d’Arc, par son action, son exemple et son héroïsme, a sauvé le royaume de France. Qu’importe si elle savait ou ne savait pas le reste ? Selon