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le mot de Claude Bernard : « L’homme peut plus qu’il ne sait. »

Il ne faut pas arracher Jeanne à l’histoire de son temps, ni aux réalités environnantes. Comme cet effort se produisait autour d’elle, elle le polarisait : le patriotisme français se dégageait des épreuves de la guerre de Cent ans ; la réforme religieuse était en germe dans les discours de ses amis, les J. Gerson, les Gelu, les Pierre de Versailles, dans les prédications des moines populaires, dans le travail, si mal connu, des « observances, » des tiers-ordres, des fraternités, des confréries et des religions. Bientôt, l’Eglise hiérarchique allait s’apercevoir que le gouvernement des âmes ne se gagne pas seulement par l’obtention des bénéfices. Et ce fut là le salut ; que les historiens de l’Eglise me démentent !

On poussait Jeanne d’Arc sur la distinction scolastique entre les deux Eglises, celle de la terre et celle du ciel ; elle répondait, rien qu’en écartant la compétence des juges ; elle répondait avec Gerson, parlant devant le Concile de Constance, avec sainte Catherine de Sienne, avec sainte Colette de Corbie, avec tous les héritiers de saint François : « Oui, il y a deux Eglises, l’une qui est composée de tous les chrétiens et qui a pour chef Jésus-Christ, l’autre qui ne parle que de territoires, d’argent, de domaines, de souveraineté, de hiérarchie et ne s’occupe que du monde d’ici-bas… » (J. Gerson.)

C’est comme si elle disait, mais en se conformant au langage de son temps : il y a deux conceptions de la vie, celle qui vise au bien, au sacrifice, à la survie ; l’autre qui vise aux profits, aux jouissances, aux agrémens immédiats. Elle était d’un côté et Cauchon de l’autre.

En histoire, l’ambiance se concrète en actes : il y avait une ambiance autour de Jeanne d’Arc ; mais c’est elle qui accomplit les actes, voilà sa gloire, ce qui la distingue de ses prédécesseurs ou de ses partisans, c’est ce qui distingue le désir de l’œuvre, le rêve de la réalité.

S’il était possible de tout dire, même ce qui peut à peine s’exprimer, on recueillerait, dans l’histoire si positive et si claire de Jeanne, des détails bien frappans sur le travail de ces désirs qui veulent être, de ces intuitions qui s’ignorent, de ces lendemains qui se cherchent.

N’est-il pas permis de remarquer, par exemple, à quel point